Le pape François a reçu en audience privée le cardinal américain Raymond Leo Burke, ce vendredi matin 29 décembre 2023. Le cardinal n’a pas voulu commenter ou révéler le contenu de la rencontre.
Le card. Burke fait partie du groupe de cinq cardinaux conservateurs qui ont présenté au pape (en juillet et août derniers) cinq questions (cinq « dubia » – « doutes ») demandant les explications sur l’interprétation de la Révélation divine, la bénédiction des unions homosexuelles, la synodalité, l’ordination des femmes et l’importance du repentir pour la confession. Les quatre autres cardinaux sont : le cardinal allemand Walter Brandmüller (94 ans), le cardinal guinéen Robert Sarah (78 ans), le cardinal Joseph Zen (91 ans), ancien archevêque de Hong Kong, ainsi que le cardinal Sandoval Iniguez (90 ans), ancien archevêque de Guadalajara, au Mexique.
Le 30 novembre 2023, le pape François a décidé de retirer au cardinal Burke son appartement de fonction dans la Via Rusticucci à Rome et son salaire: il s’agit d’une mesure sans précédent durant le pontificat de François. Certaines sources vaticanes expliquent cette décision – administrative et non pénale – pas comme une punition personnelle, mais se basant plutôt sur la conviction qu’une personne ne devrait pas bénéficier des privilèges cardinaux en critiquant le chef de l’Église. Le cardinal Burke a 75 ans, il est retraité.
Les « doutes » des cardinaux
Parmi les cinq questions (« dubia ») posées par les cardinaux au pape François, deux concernaient les thèmes « brûlants » discutés dans l’Église : ceux de la bénédiction des « unions de personnes de même sexe » et de l’ordination sacerdotale qui « peut être conférée à des femmes ».
Les cardinaux posent une question « suivante »: est-ce que l’Église accepte « comme ‘bien possible’ des situations objectivement pécheresses, telles que les unions de personnes du même sexe, sans manquer à la doctrine révélée ? »
Le pape répond en détails à cette question. Voici un extrait de sa réponse: « Dans nos relations avec les personnes, nous ne devons pas perdre la charité pastorale, qui doit imprégner toutes nos décisions et attitudes. La défense de la vérité objective n’est pas la seule expression de cette charité, qui est aussi faite de bonté, de patience, de compréhension, de tendresse et d’encouragement. Nous ne pouvons donc pas être des juges qui ne font que nier, rejeter, exclure. …La prudence pastorale doit donc discerner correctement s’il existe des formes de bénédiction, demandées par une ou plusieurs personnes, qui ne véhiculent pas une conception erronée du mariage. En effet, lorsqu’on demande une bénédiction, on exprime une demande d’aide à Dieu, un appel à pouvoir mieux vivre, une confiance en un Père qui peut nous aider à mieux vivre. »
Le pape souligne que « bien qu’il existe des situations qui, d’un point de vue objectif, ne sont pas moralement acceptables, la même charité pastorale nous demande de ne pas traiter simplement comme « pécheurs » d’autres personnes dont la culpabilité ou la responsabilité peuvent être atténuées par divers facteurs qui influencent l’imputabilité subjective. »
En ce qui concerne l’éventuelle ordination des femmes, les cardinaux demandent, entre autres, « si l’enseignement de la lettre apostolique Ordinatio Sacerdotalis de saint Jean-Paul II, qui enseigne comme une vérité à considérer définitive l’impossibilité de conférer l’ordination sacerdotale aux femmes, est toujours valable ».
Le pape répond : « Lorsque saint Jean-Paul II a enseigné qu’il faut affirmer ‘de façon définitive’ qu’il est impossible de conférer l’ordination sacerdotale aux femmes, il n’a en aucun cas dénigré les femmes et conféré le pouvoir suprême aux hommes. Saint Jean-Paul II a également affirmé d’autres choses. Par exemple, que lorsque nous parlons de pouvoir sacerdotal, « nous sommes dans le concept de la fonction, non de la dignité et de la sainteté ». Ce sont des mots que nous n’avons pas suffisamment accueillis. …Il a également affirmé que si la fonction sacerdotale est « hiérarchique », elle ne doit pas être comprise comme une forme de domination, mais comme « totalement ordonnée à la sainteté des membres du Christ ». Si l’on ne comprend pas cela et si l’on ne tire pas les conséquences pratiques de ces distinctions, il sera difficile d’accepter que le sacerdoce soit réservé aux seuls hommes et l’on ne pourra pas reconnaître les droits des femmes ni la nécessité pour elles de participer, de diverses manières, à la conduite de l’Église. »
Le pape : « L’idéologie remplace la foi »
Le pape François a vivement critiqué la ligne dure de certains prêtres et évêques aux États-Unis, lors d’une rencontre avec des jésuites à Lisbonne (Portugal) en août dernier.
« La situation aux États-Unis n’est pas facile, a dit le pape : il y a une attitude réactionnaire très forte, organisée, qui structure même une appartenance affective. »
Le pape a précisé qu’on pouvait rencontrer aux États-Unis « un climat de fermeture » : « Oui, j’ai l’impression qu’on peut vivre ce climat dans certaines situations. Mais alors, on perd la vraie tradition et on se tourne vers les idéologies pour trouver des appuis et des soutiens de toutes sortes. Autrement dit, l’idéologie remplace la foi, l’appartenance à un secteur de l’Église remplace l’appartenance à l’Église. »
Le pape a rappelé « qu’il y a une juste évolution dans la compréhension des questions de foi et de morale, à condition de suivre les trois critères que Vincent de Lérins (moine et écrivain ecclésiastique de Gaule méridionale, mort vers 445-450 – ndlr) indiquait déjà au Ve siècle : que la doctrine évolue ut annis consolidetur, dilatetur tempore, sublimetur aetate. En d’autres termes, la doctrine progresse également, se dilate avec le temps, se consolide et s’affermit, mais toujours en progressant. Le changement se développe de la racine vers le haut, en grandissant avec ces trois critères. »
Le pape a donné des exemples : « Aujourd’hui, posséder des bombes atomiques est un péché ; la peine de mort est un péché, elle ne peut être pratiquée, et ce n’était pas le cas auparavant ; quant à l’esclavage, certains papes avant moi l’ont toléré, mais les choses sont différentes aujourd’hui. Donc on change, on change, mais avec ces critères. »
« La compréhension de l’homme change avec le temps » et « la conscience de l’homme s’approfondit », a-t-il ajouté. « Il est faux de considérer la doctrine de l’Église comme un monolithe », a déclaré le pape.
Photo: le cardinal Burke. M.MIGLIORATO/CPP/CIRIC