P. François-Marie Léthel, carme déchaux, théologien français, a fait parvenir à notre blog ses réflexions sur la récente Déclaration Fiducia Supplicans, publiée le 18 décembre 2023 par le Dicastère pour la Doctrine de la foi et signée par le pape François. Il trouve « de précieuses lumières » pour la compréhension de la Déclaration chez sainte Thérèse de Lisieux (1873-1897).
« Plus que tous les précédents Docteurs de l’Église, écrit le prêtre français, Thérèse a compris et vécu cette universalité du salut en Jésus-Christ affirmée par saint Paul, dans une nouvelle compréhension de la Miséricorde Infinie et dans une espérance sans limite pour le salut de tous, sans exception, sans exclusion ». Et il cite une exhortation apostolique C’est la confiance du pape François: « Le péché du monde est immense, mais il n’est pas infini. En revanche, l’amour miséricordieux du Rédempteur est infini. »
P. Léthel est consulteur du Dicastère pour les causes des saints et membre de l’Académie pontificale de théologie. Il a été invité par le pape Benoît XVI à prêcher la retraite de Carême au pape et à la curie en 2011 sur le thème : « La lumière du Christ au cœur de l’Église – Jean-Paul II et la théologie des saints ». Le pape Benoît XVI lui a adressé une lettre de remerciements.
Le p. Léthel est l’auteur de nombreux articles et études sur la théologie des saints.
Voici la première partie de son texte.
Réflexion concernant la Déclaration Fiducia Supplicans, à la lumière de sainte Thérèse de Lisieux, Docteur de la Miséricorde
Le 15 octobre 2023, notre Pape François a offert à toute l’Église son Exhortation Apostolique C’est la confiance concernant sainte Thérèse de Lisieux. C’est sûrement un de ses plus beaux textes, dans le prolongement des précédentes Exhortations Apostoliques Evangelii Gaudium et Gaudete et exsultate. Bref et simple, ce texte est lumineux comme un diamant aux multiples facettes, faisant resplendir la merveilleuse Lumière du Christ qui remplit la vie et les écrits de Thérèse et qui ne cesse de rayonner dans le monde entier au-delà de toutes les frontières religieuses ou culturelles.
Ce texte est cité au cœur de la récente Déclaration Fiducia Supplicans publiée le 18 décembre 2023 par le Dicastère pour la Doctrine de la foi et signée par le Pape François, un document qui a suscité de nombreuses et fortes réactions dans toute l’Église concernant le point le plus délicat: La possibilité de bénir des couples de personnes de même sexe. Un grand débat ecclésial a été ouvert, appelant à un profond exercice de la collégialité et de la synodalité, toujours en communion avec l’évêque de Rome, pour faire mieux resplendir la lumière de la vérité dans le feu de la charité. Il apparaît déjà que certains aspects de la Déclaration devraient être examinés et éclairés de façon plus profonde et plus précise, et on peut espérer la publication d’un nouveau document du Saint Siège sur ce sujet (comme ce fut le cas pour la théologie de la libération). En attendant, nous pouvons déjà trouver chez Thérèse de précieuses lumières.
Immensité du péché du monde et infinité de l’Amour Miséricordieux du Rédempteur
Le paragraphe 22 de la Déclaration cite plusieurs passages de l’Exhortation Apostolique sur Thérèse, dont le plus important est le n° 29 qu’il convient de citer intégralement:
« Elle est consciente du drame du péché, même si nous la voyons toujours introduite dans le mystère du Christ, avec la certitude que « là où le péché a abondé, la grâce a surabondé » ( Rm 5, 20). Le péché du monde est immense, mais il n’est pas infini. En revanche, l’amour miséricordieux du Rédempteur est infini. Thérèse est témoin de la victoire définitive de Jésus sur toutes les forces du mal par sa passion, sa mort et sa résurrection. Mue par la confiance, elle ose écrire : « Jésus, fais que je sauve beaucoup d’âmes, qu’aujourd’hui il n’y en ait pas une seule de damnée […]. Jésus, pardonne-moi si je dis des choses qu’il ne faut pas dire, je ne veux que te réjouir et te consoler » (Pri 2. Au jour de la Profession).
Les mots en italique sont cités dans la Déclaration. Thérèse a merveilleusement compris la doctrine de saint Paul dans la Lettre aux Romains, qui est la double inclusion de toute l’humanité dans le péché et dans le salut, ce qui est résumé dans cette affirmation du chapitre 5 cité ici: Là où le péché a abondé, la grâce a surabondé.
L’obéissance rédemptrice de Jésus Nouvel Adam a surabondamment contrebalancé la désobéissance de l’Ancien Adam enveloppant mystérieusement toute l’humanité, tous les hommes et toutes les femmes, depuis les origines jusqu’à la fin des temps. « Tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu, et ils sont justifiés par la faveur de sa grâce en vertu de la rédemption accomplie dans le Christ Jésus » (Rm 3, 23-24). La même vérité est affirmée à la fin de cette grande partie doctrinale de la Lettre aux Romains: « Dieu a enfermé tous les hommes dans la désobéissance pour faire à tous miséricorde » (Rm 11, 32).
Plus que tous les précédents Docteurs de l’Église, Thérèse a compris et vécu cette universalité du salut en Jésus-Christ affirmée par saint Paul, dans une nouvelle compréhension de la Miséricorde Infinie et dans une espérance sans limite pour le salut de tous, sans exception, sans exclusion, dépassant la problématique augustinienne de la prédestination et de la réprobation. C’est ce que signifie sa prière citée ici par le Pape François, une prière qu’elle renouvelait tous les jours pour le salut de toutes les âmes, pour que pas une seule ne se perde.
C’est dans cette lumière de l’infinité de l’Amour Miséricordieux qu’il faut considérer l’immensité du péché du monde, ce que Paul faisait dans les 3 premiers chapitres de la même Lettre aux Romains. Et c’est précisément là qu’il parle très explicitement de l’homosexualité pratiquée par des hommes et des femmes (Rm 1, 26- 27), en relation avec l’idolâtrie et toutes les autres formes de péché. Paul souligne l’aspect essentiel de ce péché comme étant « contre nature », ce qui sera sans cesse réaffirmé par l’Église. Sévèrement condamnée dans l’Ancien Testament, la pratique de l’homosexualité était considérée comme normale dans le monde grec, comme c’est le cas aujourd’hui dans notre monde européen et nord-américain.
C’est un exemple de la douloureuse contradiction entre l’Esprit de Jésus et l’esprit du monde, et l’Église court toujours le risque de se laisser « mondaniser ». De là naissent les hérésies dans lesquelles l’erreur doctrinale s’accompagne souvent de la faute morale, comme le montrait déjà saint Irénée dans sa lutte contre les hérésies gnostiques. Les principales hérésies actuelles sont caractérisées par le refus de la création de notre humanité à l’image et à la ressemblance de Dieu, comme homme et femme, corps et âme.
Dans son Exhortation Apostolique, le Pape François cite un des textes majeurs de Thérèse concernant la Miséricorde:
« Pour Thérèse, en effet, Dieu brille avant tout par sa miséricorde, clé pour comprendre tout ce qui est dit de Lui : « À moi Il a donné sa Miséricorde infinie, et c’est à travers elle que je contemple et adore les autres perfections Divines !… Alors toutes m’apparaissent rayonnantes d’amour, la Justice même (et peut-être encore plus que toutes les autres) me semble revêtue d’amour » (Ms A, 83v). C’est l’une des découvertes les plus importantes de Thérèse, l’une de ses plus grandes contributions pour l’ensemble du peuple de Dieu. Elle est entrée de manière extraordinaire dans les profondeurs de la miséricorde divine et y a puisé la lumière de son espérance sans limites » (C’est la confiance, n. 27).
Ici encore, Thérèse a merveilleusement compris la pensée de saint Paul concernant la Miséricorde et la Justice de Dieu pleinement révélées en Jésus-Christ. L’effet propre de la Justice de Dieu n’est pas de juger, mais de justifier gratuitement l’homme pécheur dans le sang de Jésus. C’est proprement la Justice miséricordieuse, « revêtue d’amour »! En Dieu, la Miséricorde et la Justice sont identiques, comme toutes les autres « perfections divines » ou attributs divins. Mais il peut exister de notre côté une conception erronée de la Justice sans la Miséricorde (celle du jansénisme ambiant au temps de Thérèse), ou au contraire une conception également erronée de la Miséricorde sans la Justice, plus fréquente aujourd’hui, qui laisserait le pécheur dans son péché sans le pousser à la conversion. Ce serait en quelque manière une approbation du péché, une complicité avec le mal. Jésus est venu appeler les pécheurs à la conversion (cf Lc 6, 32).
Nous sommes tous des pécheurs appelés à une conversion continuelle jusqu’à la sainteté. Thérèse en éclaire le chemin pour tous, car « sa confiance illimitée encourage ceux qui se sentent fragiles, limités, pécheurs, à se laisser conduire et transformer pour atteindre le sommet » (C’est la confiance, n. 21).