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France/Ukraine : «si je devais quitter Kharkiv, ce serait avec la toute dernière voiture»

Témoignage de l’évêque ukrainien

Mgr Pavlo Honcharuk, évêque du diocèse catholique romain de Kharkiv-Zaporizhia, l’un des plus grands diocèses d’Europe, reste à Kharkiv, la ville ukrainienne située à 30 km de la frontière russe et soumise à de lourds bombardements quotidiennement. « Ma place est ici, dit-il dans un entretien avec l’Aide à l’Église en détresse France (l’AED France).  La population locale a besoin de moi. Si je devais quitter Kharkiv, ce serait avec la toute dernière voiture. »

Il remercie l’AED qui finance une aide d’urgence pour les religieux, une aide spéciale pour 25 paroisses, ainsi que des pompes à chaleur pour diverses paroisses et pour la curie.

L’évêque souligne que « les prêtres et les religieux sont irremplaçables » dans cette ville où « les alertes aériennes » « sont presque permanentes », où « beaucoup d’enfants apprennent dans les stations de métro », où « il y a énormément de suicides, parce que les gens ne voient aucune perspective ». Ici les prêtres sont « un signe de stabilité et de sécurité », affirme Mgr Honcharuk. « Les gens se disent : s’il y a un prêtre, alors je peux aussi rester. Ils ont juste besoin de notre présence. La solitude est très difficile à supporter, surtout lorsque vous avez perdu un être cher. »

L’évêque raconte qu’il a « un très grand diocèse, mais un quart de celui-ci est occupé, et il n’y a plus de prêtres là-bas ». « Avant la guerre en 2014, nous avions 70.000 fidèles dans notre diocèse, précise-t-il. Aujourd’hui, il n’y en a plus que 2.500. »

L’évêque de Kharkiv-Zaporizhia rappelle que « la prière » reste la « plus grande arme » des fidèles catholiques. « Beaucoup de gens demandent : quand la guerre prendra-t-elle fin ? Il n’y a pas de réponse. Mais nous ne devons pas cesser de prier », note-t-il.

Et il poursuit : « Il est tout aussi important d’être ici pour les gens, de les accompagner, de partager leur fardeau, de prier avec eux, de les servir. Et de chercher les moyens de les aider à surmonter cette période difficile. Il s’agit non seulement d’une aide matérielle, mais aussi d’une aide psychologique. Il est important qu’une personne comprenne ce qui se passe en elle, afin de ne pas se juger, car la peur s’accompagne d’agressivité. C’est normal dans les situations de guerre. »

Mgr Honcharuk raconte un épisode récent de sa vie de l’évêque : « J’ai été particulièrement touché par une expérience dans un village proche du front : une femme y est morte et nous voulions l’enterrer, mais le prêtre orthodoxe local a estimé que c’était trop dangereux. J’y suis allé quand même. Les gens là-bas étaient pro-russes, ils ne voulaient pas nous parler et étaient très agressifs. Les funérailles ont eu lieu dans une cave, sans électricité. J’ai distribué des bougies. Il y avait environ 10 personnes. Elles m’ont regardé – j’ai vu leurs yeux vides et j’ai eu la chair de poule. Il faisait sombre et c’était si dur. Le cadavre gisait là, étendu. Avant de prier pour la femme décédée, j’ai d’abord commencé à prier pour les gens qui étaient devant moi : ‘Mon Dieu, s’il te plaît, viens dans le cœur des gens d’ici…’ Quand nous sommes remontés, j’ai enfin vu les gens à la lumière du jour, ils pleuraient. La femme qui avait été la plus agressive au début m’a demandé de prier à nouveau. Je lui ai demandé pourquoi. Elle m’a répondu : ‘Quand vous avez prié, mon cœur s’est senti si léger.’ Les autres ont confirmé cela. Ils ont répété les paroles de ma prière. Dieu avait touché leur cœur. Pour ces gens, la guerre était terminée. Parce que la guerre commence dans les cœurs, et c’est aussi là qu’elle prend fin. »

Photo : aed-france.org, Mgr Pavlo Honcharuk

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