Photo : © capture-Gabriel Klum; le card. O’Malley; présentation du rapport; le 29 oct. 2024
La « transparence » des procédures en question
Gabriel Klum
« Une préoccupation persistante concernant la transparence des procédures de la Curie romaine » est relevée sans tabou par le premier rapport annuel la Commission vaticane pour la protection des mineurs.
Pour la première fois, cette Commission, qui a dix ans, publie en effet un rapport, qui a été présenté au Vatican ce mardi 29 octobre 2024, par le cardinal président, Sean Patrick O’Malley, capucin, archevêque de Boston, et par Maud de Boer-Buquicchio, juriste, chargée de ce rapport.
Étaient également présents: Mgr Luis Manuel Alí Herrera, évêque auxiliaire de Bogota, secrétaire de la Commission, Teresa Morris Kettelkamp, secrétaire adjointe, Juan Carlos Cruz, promoteur des droits des survivants des abus cléricaux, consultant en communication, et Niluka Perera, des sœurs de Notre Dame de la Charité du Bon Pasteur, coordinatrice d’un réseau de religieuses Catholic Care for Children International (CCCI, catholiccareforchildren.org).
Le rapport (en anglais et en italien, ici, avec une synthèse en français: https://www.tutelaminorum.org/annual-report/ ) propose d’une part une évaluation sur les mesures de protection adoptées par l’Église catholique dans le monde, avec un partage des « bonnes pratiques », et d’autre part des recommandations.
C’est le pape François qui avait souhaité la mise en place d’un « un audit clair » annuel, dans un discours d’avril 2022, pour la plénière de la Commission, avec pour mots d’ordre « transparence » et « responsabilité ».
Le rapport recommande notamment « la nécessité de consolider et de clarifier les compétences détenues par les dicastères de la Curie romaine, afin d’assurer une gestion efficace, opportune et rigoureuse des cas d’abus soumis au Saint-Siège. » Il exprime sa « préoccupation persistante concernant la transparence des procédures et des processus juridiques de la Curie romaine», avec le danger de faire grandir la « défiance », notamment dans « la communauté des victimes/survivants ».
Avec ce premier rapport, la Commission espère susciter une « conversion » croissante de l’Église à la culture de la prévention des abus, avec quatre points cardinaux: vérité, justice, réparations et garanties de non-réitération.
À l’avenir, entre 15 et 20 conférences épiscopales pourraient être auditionnées chaque année, de façon à « professionnaliser » la lutte pour la protection des mineurs dans l’Église catholique.
Le cardinal O’Malley salue les progrès pour exprimer la « proximité » de l’Eglise auprès des victimes.
Le rapport comprend quatre sections:
– L’Église locale mise en exergue, résume les rapports des évêques lors des visites « ad limina » au Vatican avec les procédures mises en place dans une quinzaine de pays et les exemples des religieuses de la Consolata et des pères Spiritains;
– La mission de protection de l’Église dans les régions continentales;
– Les politiques et procédures mises en place au sein de la Curie romaine au service des Églises locales;
– Le ministère de protection de l’Église, dans la société.
Le rapport constate des disparités de mesures dans 17 conférences épiscopales: « Pour certaines Églises, le problème des abus est reconnu et médiatisé depuis plus d’une génération, pour d’autres, la question n’est pas encore devenue une question publique au sein de la société. »
Le manque de communication avec les victimes est déploré: « Parfois, la Commission a constaté un manque troublant de structures de communication et de services d’accompagnement des victimes/survivants, comme l’exige le Motu Proprio Vos estis lux mundi. »
Dans certains pays africains, la Commission regrette que la culture de la prévention soit perçue comme « une idéologie occidentale imposée qui ne répond pas aux défis africains ».
La Commission situe cette lutte dans la dynamique de l’annonce de l’Évangile: « La protection des enfants contre les abus n’est pas une distraction du travail d’évangélisation de l’Église, mais plutôt une expression de celle-ci. »
Pour ce qui est de la « culture de la protection » sur les différents continents le rapport constate lumières et ombres:
Sur le continent américain, les premiers outils en place pour la protection des mineurs remontent à 1987 pour le Canada et à 1992 pour les États-Unis, avec un engagement des laïcs et notamment des femmes. Un déséquilibre persiste entre l’Amérique du Nord et du Sud à la fois pour ce qui est de la prise de conscience des abus et pour les sociétés violentes, notamment en Amérique centrale, où l’enfant est particulièrement vulnérable.
En Afrique, le rapport salue la collaboration de conférences épiscopales (Afrique de l’Est, AMACEA, Océan Indien, CEDOI) avec la Commission pontificale, et l’effort de congrégations religieuses pour la formation à la protection des mineurs. Pourtant, il déplore aussi le manque de données chiffrées, des carences dans le suivi des cas d’abus et que la protection des mineurs représente « un concept nouveau ».
En Europe, le rapport salue notamment la collaboration des Églises avec les autorités civiles ou la mise en place par de processus de réparation pour les victimes de pédocriminalité en milieu catholique. Mais on souligne la difficulté de supérieurs religieux, hommes ou femmes, lorsqu’ils sont chargés d’accompagner des victimes mais vivent dans la même communauté qu’un agresseur. Des victimes expriment aussi leur frustration du fait de « l’opacité » des règles canoniques qui régissent le traitement des cas.
En Asie-Océanie, des structures ont pour mission de sensibiliser au phénomène des agressions sexuelles contre des mineurs , comme le Centre Joseph de Bombay, en 2021. Mais le rapport signale aussi des cas d’entraves par des structures hiérarchiques traditionnelles, une culture patriarcale, la corruption ou la peur de représailles.
La Commission salue en outre les progrès accomplis par Caritas Internationalis et des Caritas régionales en matière de prévention, mais elle déplore une « fluctuation considérable dans les pratiques de protection parmi les différents organismes de la Caritas ».
La présentation du rapport, avec les textes en anglais et en italien, se trouve ici:https://press.vatican.va/content/salastampa/it/bollettino/pubblico/2024/10/29/0841/01667.html
Et ici pour ce qui est de la vidéo de la présentation, en anglais: https://www.youtube.com/watch?v=BJQj5e2yVno