L’archevêque brésilien et les questions complexes du synode
Gabriel Klum
L’archevêque brésilien Jaime Spengler, franciscain, est président du Conseil épiscopal latino-américain (CELAM), qu’il représente au synode, et il fait aussi partie de 21 nouveaux cardinaux annoncés par le pape François à l’angélus, dimanche 6 octobre 2024. Ils seront « créés » cardinaux le 8 décembre prochain.
Mgr Spengler a participé à une rencontre avec la presse organisée au Vatican le 8 octobre. Il s’est exprimé en portugais.
Il a raconté avec humour comment il a appris qu’il ferait partie des prochains cardinaux: il était en train de lire « Sequela Christi » quand il a commencé à recevoir des messages de félicitations, il a répondu : « De quoi est-ce que vous parlez? » Parce que ce n’était pas une date « spéciale » pour lui, ni fête ni anniversaire… Alors on lui répond: « Le pape a parlé de toi à l’angélus, il a cité ton nom ». « Mais pourquoi? »
Quand il a compris, il a avoué ne pas s’y être attendu à cela « ni en ce moment, ni en un autre moment »: de fait, le Brésil a déjà 6 cardinaux.
Mgr Spengler a dit sa disponibilité « à pouvoir servir de la meilleure façon possible ». Il a rappelé sa promesse, en tant que religieux franciscain, de « ne jamais refuser ce que l’Église demande ». Une promesse souvent « difficile à tenir », mais une promesse qui se révèle « salutaire », avouait l’archevêque brésilien.
Il a dit sa « gratitude » envers le pape François pour sa « confiance » et il a redit sa disponibilité à « collaborer avec épiscopat, l’Église, les pauvres de Dieu, en ce moment délicat, complexe, qui demande des réponses adéquates ».
La « beauté » du collège des cardinaux
L’archevêque a rappelé qu’au synode, il représente le CELAM. Il a évoqué, dans la diversité du collège cardinalice, une « générosité » et une « magnanimité catholique » qui vient de Dieu: une Église « capable de dialoguer avec toutes réalités, tous les peuples. Cette richesse, cette diversité du collège cardinalice est une expression de cette caractéristique ‘catholique’».
Il a rappelé que le cardinal de Mongolie représente quelque 1400 catholiques, tandis que son propre diocèse représente 4 millions de catholiques: le critère n’est pas le nombre, le critère est « autre ».
L’archevêque brésilien a salué « l’universalité du collège des cardinaux », tous « différents », ce qui n’a pas été le cas autrefois dans l’histoire de l’Église. Il s’émerveille devant « la beauté, la grandeur, et la dignité du collège cardinalice ».
L’exercice de l’autorité
À propos de l’exercice de l’autorité et de la gouvernance dans une « Église synodale », l’archevêque brésilien a reconnu qu’il s’agissait d’une « question complexe » et « décisive » à la fois dans l’Église et dans le monde d’aujourd’hui, avec la « crise des démocraties », la « crise dans les institutions », « au niveau global et continental ».
Il a rappelé ce que saint Paul VI disait déjà en 1970: le monde a plus besoin de « témoins » que de « maîtres », et que les maîtres ne sont acceptés que s’ils sont aussi des « témoins ». Il a souligné l’exigence d’un « témoignage éthique, moral et religieux »: « là est la question ».
La « dignité » de la création
Au moment où le synode s’interroge sur la qualité des « relations » en Église, des groupes ont également inclus dans leur réflexion non seulement l’aspect « horizontal » ou « vertical » des relations, mais aussi « la relation avec environnement, notre maison commune ».
Le Brésil, a-t-il rappelé, prend de plein fouet les effets des changements climatiques: « Nous souffrons intensément de ces phénomènes climatiques », soit dans les régions comme Manaus où le manque d’eau empêche les pasteurs de visiter – en barque – de nombreuses communautés isolées, soit dans d’autres régions frappées par de graves inondations.
« Le monde, la nature nous appelle au secours », a-t-il déclaré: il s’agit donc de développer « le soin de la nature », en reconnaissant la « grande dignité » de la création en tant qu’« œuvre de Dieu », et non pas , « le fruit d’une œuvre humaine ». Il est « nécessaire », recommandait l’archevêque brésilien, de faire la « promotion de la « dignité de l’œuvre de la création ».
Il a repris cette interrogation fondamentale: « quel monde laisserons-nous, après nous? » pour affirmer: « L’avenir est entre nos mains ». C’est, a-t-il ajouté, le « privilège de ce moment historique »: « L’avenir passe par nos décisions, nos options, appelées à la coresponsabilité évangélique qui a des répercussions dans tout le contexte social, l’environnement ». Il s’agit de « répondre aux défis d’aujourd’hui, pour laisser un avenir meilleur à ceux qui viennent après nous ».
Pour ce qui est de l’héritage du passé, Mgr Spengler a salué l’apport des immigrés au Brésil, notamment les Italiens – anniversaire des 150 ans de leur arrivée -, Ukrainiens, Polonais, qui ont favorisé l’évangélisation de l’Amérique latine. Il a salué la « transmission de la foi », advenue en partie grâce aux « immigrés, arrivés sans rien », après avoir souffert la « traversée de l’Atlantique ». Mais ils se sont « engagés avec détermination, avec courage et surtout avec leur foi, pour construire une société » actuelle.
Quant à la « tragédie » que vit le sud du Brésil depuis mai, 400 villes ayant été complètement détruites, il a avoué: « Nous ne parlons pas de reconstruction, mais de construire de façon différente. »
Il a salué une « vague de solidarité comme jamais dans l’histoire du Brésil » et le « témoignage » d’une « très grande générosité » même internationale.
Renouveau de « l’initiation chrétienne »
Mais aujourd’hui, l’archevêque brésilien souligne la nécessité de renouveler la préparation à « l’initiation de la vie chrétienne »: dans une société qui a changé, le « grand défi de l’Église » consiste à se demander « comment faire arriver la foi » spécialement aux jeunes.
Dans la recherche des solutions, le « travail synode » doit mettre en œuvre « le dialogue, l’écoute des diverses sensibilités et réalités » pour dégager des « points de convergences » pour apporter des « réponses » pour relever « le défi de transmission de la foi aux nouvelles générations ». La recherche de solutions suppose, a ajouté le futur cardinal, « disponibilité, ouverture de cœur ».
Il rappelle que la Conférence des évêques du Brésil comprend plus de 400 évêques, c’est-à-dire qu’ils sont plus nombreux que les membres du synode! Leur assemblée, comme le synode, leur fait faire l’expérience d’une « Pentecôte » grâce à laquelle des personnes « de réalités si différentes arrivent à des points de convergences ».
Pas besoin de « rite » nouveau
Face à la diversité des cultures auxquelles appartiennent les catholiques en Amazonie, Mgr Spengler a rappelé d’un groupe qui réfléchit à la question d’un « rite spécifique » pour cette région: quelles dispositions pour un « chemin »?
Mais l’archevêque estime qu’il suffirait d’inculturer le rite romain, pas de le changer: « Aujourd’hui, il convient d’explorer de façon plus intense comment il serait possible d’inculturer le rite romain dans les différentes réalités culturelles. »
L’Amazonie comporte une grande diversité de langues, et de cultures distinctes: un rite nouveau amazonien en serait pas possible, mais une « inculturation du rite romain ».
Il a souligné comment, lors des célébrations à Manaus, « les catholiques indigènes servaient à l’autel, dans le strict rite romain, avec dignité, révérence, soin pour tout ce qui est nécessaire, de façon très intense, avec une dignité que parfois nous ne témoignons pas dans nos célébrations les plus solennelles. »
La question de l’ordination d’hommes mariés
Interrogé par la presse sur l’éventualité de l’ordination d’hommes mariés pour les régions manquant de prêtres, l’archevêque a reconnu que la question est « très délicate »: elle dépend de la « discipline Église » et non pas de la « théologie ».
Il recommande à la fois de « l’audace » (« parrhésia » en grec) pour aborder la question et il reconnaît que son propre diocèse qui avait naguère de nombreuses vocations est aujourd’hui contraint au « regroupement de paroisses ».
Il s’est demandé s’il ne fallait pas regarder du côté des diacres permanents, sans « généraliser », mais « à partir diaconat permanent », examiner « quelles décisions pourraient être envisagées », voire les « ordonner prêtres », mais « pour des communautés spécifiques ».
« Quel est le chemin? Je n’ai pas de réponse, a conclu le président du CELAM, nous pouvons et devons aborder avec courage cette question, en étant attentifs aux signes des temps et chercher des réponses pour les différentes réalités » présentes sur le terrain.
Photo : Mgr Jaime Spengler, adn.celam.org