Photo : © capture-vaticaninfo.com; audience accordée aux participants de la Rencontre de « Iglesias Hospital de Campaña », le 4 nov. 2024
Gabriel Klum
« Les migrants arrivent et, dans un sens, ce sont les enfants que nous ne voulons pas avoir »: cette petite phrase du pape François faisant allusion à l’hiver démographique italien a fait sensation. Mais son discours portait plus largement sur le service des plus vulnérables avec trois mots d’ordre: « annoncer le Christ, réparer les inégalités et semer l’espérance ».
Le pape l’a prononcé lors d’une audience accordée au Vatican, lundi 4 novembre 2024, aux participants de la IIIe « Rencontre » [« Encuentro »] de « Iglesias Hospital de Campaña » [« Églises, hôpital de campagne »], organisée à la Casa san Juan de Ávila de Rome par l’association « Mensajeros de la Paz » [« Messagers de la paix »] du prêtre espagnol Ángel García Rodríguez.
Ils sont engagés auprès des plus défavorisés dans différentes associations d’Espagne (Madrid, Manrèse, Barcelone), d’Italie (Rome), de Jordanie, du Mexique et d’Argentine. Le thème de la rencontre est: « L’Église synodale et les Églises hôpital de campagne au service de l’humanité ». Le pape s’est adressé à eux en espagnol.
Le pape a exhorté à « accueillir le Christ » dans les personnes plus vulnérables, notamment les migrants, en prenant en exemple le bas taux de natalité en Italie: avec quelque 60 millions d’habitants, le pays a une moyenne d’âge de 45,8 ans, une natalité de 6,7 ‰ (indice de fécondité de 1,24 enfant), un taux de mortalité de 12,4 ‰ et un taux de migration de 3,6 ‰.
Le pape les a exhortés surtout de continuer à « semer l’espérance »: « Vous semez l’espérance. Et pour tout cela, je tiens à vous remercier publiquement pour votre travail. » Et il a insisté en citant différents exemples, comme les enfants ukrainiens: « Semez l’espérance s’il vous plaît. Dans chaque personne que vous accueillez, dans chaque personne qui a une vulnérabilité, semez l’espérance. »
Le pape voit dans ce service des plus pauvres le signe de l’évangélisation véritable: « Chaque fois que nous avons l’occasion de les approcher et de leur offrir notre aide, c’est pour nous l’occasion de toucher la chair du Christ, car apporter l’Évangile ce n’est pas une chose abstraite, une idéologie, qui se réduit à l’endoctrinement. Non, il n’en est pas ainsi, apporter l’Évangile se concrétise dans l’engagement chrétien auprès des plus nécessiteux ; c’est là que réside la véritable évangélisation. »
Voici notre traduction du discours du pape François:
Merci d’être venus. Vous êtes bienvenus à cette rencontre. Je voudrais vous adresser quelques mots qui vous aident à réfléchir sur le travail dans l’Église, sur le travail que vous accomplissez, en faveur des plus pauvres et des plus marginalisés.
Je voudrais partager avec vous trois aspects que j’ai mentionnés récemment : premièrement, annoncer le Christ, deuxièmement, réparer les inégalités, et troisièmement, semer l’espérance. Annoncer le Christ, réparer les inégalités et semer l’espérance. Aidés par la grâce de l’Esprit Saint, vous vous efforcez de faire que les églises soient comme un hôpital de campagne — nous ne devons pas l’oublier — en mettant en avant ces trois principes.
Je suis parfois tellement désolé, quand tu demandes à un prêtre : « Comment va la paroisse? » « Eh bien, nous avons beaucoup de messes. » « Mais combien de personnes au total viennent le dimanche? » « Nous en comptons 1 000, 1 200. « Ah comme c’est bien! » « Et combien de personnes y a-t-il dans votre quartier? » Et là, il hésite avant de dire 200 000, 250 000. C’est-à-dire que nous devons être conscients que peu de gens viennent à l’église. C’est à nous d’aller les chercher.
Témoigner de l’accueil des gens plus par des gestes que par des paroles. Un premier principe : accueillir. Et aussi aller rendre visite, ce qui est une autre forme d’accueil. Et continuez à voir en chacun d’eux – les personnes vulnérables –, dans cette vulnérabilité, le visage du Christ. De cette façon, vous annoncez le Christ comme celui qui marche toujours avec eux, même si c’est de façon anonyme, parce que c’est lui qui le premier s’est fait pauvre.
Elles me font du bien ces anecdotes des gens pauvres, d’Espagne, du sud de l’Italie, qui annoncent le Christ comme ils le peuvent, au milieu de l’immigration musulmane, par exemple. Et ils l’annoncent par des gestes, par l’accueil, par l’accompagnement, par la promotion du migrant. Accueillir le Christ.
L’une des façons d’accueillir le Christ c’est dans les pauvres et dans les migrants. Je souligne les migrants parce qu’en Italie comme en Espagne, c’est l’une des réalités — je ne veux pas dire un problème, mais une des réalités. Et, d’autre part, nous devons remercier les migrants qui viennent parce que l’âge moyen des habitants est un peu scandaleux. Je crois qu’en Italie, la moyenne d’âge est de 46 ans. Ils n’ont pas d’enfants. Mais oui, tout le monde a un petit chien ou un chat, mais ils n’ont pas d’enfants ! Et les migrants arrivent et, dans un sens, ce sont les enfants que nous ne voulons pas avoir. Réfléchissez-y un peu.
En second lieu, réparer les inégalités. Par votre apostolat, vous dénoncez à la société que l’inégalité, parfois si grande, entre riches et pauvres, entre citoyens et étrangers, n’est pas ce que Dieu veut de l’humanité et qu’en justice ces choses doivent être résolues. Il est nécessaire de reconstituer le tissu social en réparant les inégalités ; personne ne peut rester indifférent face à la souffrance des autres (cf. Genèse 4, 9).
Pensez aux deux extrémités de la vie : l’inégalité qui existe chez les enfants et chez les personnes âgées. Lorsque les personnes âgées sont mises à l’écart, elles sont envoyées aux « quartiers généraux d’hiver », comme si, à ce moment-là, elles n’avaient rien à offrir à la société. Et pensez aux enfants, quand ils sont utilisés pour certains travaux, puis sont abandonnés. Il y a des enfants qui ont l’habitude d’aller ramasser dans les ordures des choses qui peuvent ensuite être vendues.
Dans un pays où il existe un fruit très délicat appelé myrtille, et où sa récolte nécessite beaucoup de délicatesse, ils utilisent des enfants affamés pour récolter les myrtilles, et ils les exploitent. Une question que nous devons nous poser : que se passe-t-il avec les enfants? Que se passe-t-il avec les personnes âgées? Les personnes âgées sont une source de sagesse, et nous assistons au scandale de les garder dans le placard d’un hospice. Les enfants et les personnes âgées.
Et, enfin, il est nécessaire de semer l’espérance. Dans chaque personne que vous accueillez – parce qu’elle n’a pas de maison, parce qu’elle est réfugiée, parce qu’elle fait partie d’une famille en situation de vulnérabilité, parce qu’elle est victime de la guerre, ou pour toute autre raison qui la marginalise par la société – vous semez l’espérance. Et pour tout cela, je tiens à vous remercier publiquement pour votre travail.
Il est vrai que vous êtes téméraires et intrépides, tout le monde n’a pas ce courage, mais ce que vous faites inspire les autres, les inspire tellement. Pensons aux réfugiés — il faut aller les chercher, aller les voir —, aux soldats ukrainiens blessés à la guerre. Semons l’espérance chez ces gens. La guerre est une réalité très dure. C’est une réalité qui tue et qui détruit. Nous devons nous occuper de ces personnes. Une chose que je vois quand viennent des groupes d’enfants ukrainiens qui sont déplacés ici, c’est qu’ils ne sourient pas. La guerre leur a volé leur sourire.
Tout le travail que vous faites avec les réfugiés est donc très important. Et, d’ailleurs, c’est l’une des trois situations que l’Ancien Testament répète toujours : la veuve, l’orphelin et l’étranger — le migrant, le réfugié —. C’est une question que nous devons toujours nous poser. Semez l’espérance s’il vous plaît. Dans chaque personne que vous accueillez, dans chaque personne qui a une vulnérabilité, semez l’espérance.
Bien que ces frères se sentent souvent oppressés face à un panorama qui pourrait sembler une « impasse », combien d’« impasses » trouve-t-on aujourd’hui, combien ! — rappelez-leur que l’espérance chrétienne est plus grande que toute situation. Ce n’est pas facile de dire cela à un blessé de guerre, ce n’est pas facile, mais c’est nécessaire de le lui dire, parce que l’espérance a son fondement dans le Seigneur, et non dans l’homme. Une chose est l’optimisme, qui est une bonne chose ; mais autre chose est l’espérance, ce qui est complètement différent.
Je voudrais que vous tous, dans l’œuvre que vous accomplissez dans l’Église, ne cessiez de découvrir qu’aider les personnes vulnérables est toujours un privilège, parce le Royaume des cieux est à eux (cf. Mt 5, 3). Prendre soin des plus vulnérables, c’est prendre soin du Seigneur lui-même. « Tout ce que vous avez fait à l’un d’entre eux, c’est à moi que vous l’avez fait. »
Chaque fois que nous avons l’occasion de les approcher et de leur offrir notre aide, c’est pour nous l’occasion de toucher la chair du Christ, car apporter l’Évangile ce n’est pas une chose abstraite, une idéologie, qui se réduit à l’endoctrinement. Non, il n’en est pas ainsi, apporter l’Évangile se concrétise dans l’engagement chrétien auprès des plus nécessiteux ; c’est là que réside la véritable évangélisation.
Sœurs, frères, je vous remercie pour votre témoignage de vie chrétienne, vous communiquez l’espérance, vous communiquez la miséricorde, vous communiquez l’amour à toutes ces personnes afin que, convaincues à leur tour de cette vérité, elles puissent s’unir pour collaborer au service des plus pauvres. « Père, alors devons-nous les baptiser avant qu’ils ne viennent collaborer au service des plus pauvres ou devons-nous les envoyer en confession pour qu’ils soient dans la grâce de Dieu? » Non.
Toute personne, athée, non-athée, toute personne, de cette religion ou d’une autre. Servir, et servir les plus pauvres. Parmi les plus pauvres, il y a Jésus. Ils servent Jésus même s’ils ne croient pas en Lui. Tous mis dans le sac du service, tous mis dans l’engagement envers les autres.
Que Jésus vous bénisse dans le travail que vous faites et, s’il vous plaît, n’oubliez pas de prier, priez pour moi, mais priez « pour », pas « contre ».
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L’Osservatore Romano, édition quotidienne, année CLXIV n° 249, lundi 4 novembre 2024, p. 12.
[Texte original : Español]