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Éducation: «Débarrassons-nous de tout fardeau de pessimisme ; le pessimisme n’est pas chrétien» (traduction complète)

Photo : © Dicastero per la Cultura ed Educazione

« Débarrassons-nous de tout fardeau de pessimisme ; le pessimisme n’est pas chrétien », déclare le pape François aux éducateurs, mettant en garde contre le péril du « nihilisme ».

Le pape François a reçu en audience, ce jeudi matin, 21 novembre 2024, au palais apostolique du Vatican, les participants de la première assemblée plénière du Dicastère pour la culture et l’éducation, qui a pour thème : « Passons sur l’autre rive » (19-21 novembre 2024).

« Convergeons, de toutes nos forces, pour libérer l’être humain de l’ombre du nihilisme, qui est peut-être le fléau le plus dangereux de la culture actuelle, car c’est celui qui prétend effacer l’espérance. Et ne l’oublions pas : l’espérance ne déçoit pas, c’est la force. Cette image de l’ancre : l’espérance ne déçoit pas. Si je peux partager un secret, j’éprouve parfois l’envie de crier à l’oreille de cette époque de l’histoire : « N’oubliez pas l’espérance ! ». Il y a parfois le mythe de Turandot : penser que l’espérance déçoit toujours. Je compte sur vous pour que l’année jubilaire, désormais proche, amplifie ce cri. Il y a tellement de choses à faire : c’est le moment de se retrousser les manches. »

Le pape François fustige toutes les formes de « génocides culturels » qui ne se réduisent pas « à la destruction du patrimoine », mais « lorsque nous volons l’avenir des enfants, lorsque nous ne leur offrons pas les conditions pour devenir ce qu’ils pourraient être », notamment des 250 millions d’enfants privés d’éducation primaire.

Surtout le pape met les éducateurs en garde contre la peur: « Il ne faut pas laisser le sentiment de peur l’emporter. Souvenez-vous que les transitions culturelles complexes s’avèrent souvent les plus fécondes et les plus créatives pour le développement de la pensée humaine. »

GK

Voici notre traduction complète du discours du pape François :

Cher cardinal préfet, chers supérieurs du dicastère,

Éminences, Excellences,

chers frères et sœurs !

Je vous reçois à l’occasion de la première assemblée plénière du Dicastère pour  la culture et l’éducation. Et j’en profite pour réitérer l’importance du risque que représente la mise en commun de cette combinaison : culture et éducation.

Lorsque, par la constitution apostolique Praedicate Evangelium, j’ai décidé de réunir les deux organismes du Saint-Siège chargés de l’éducation et de la culture, j’ai été motivé non pas tant par la recherche d’une rationalisation économique, mais plutôt par une vision des possibilités de dialogue, de synergie et d’innovation qui peuvent rendre ces deux domaines encore plus féconds, je dirais « débordants ».

Le monde n’a pas besoin de répétiteurs somnambules de ce qui existe déjà ; elle a besoin de nouveaux chorégraphes, de nouveaux interprètes des ressources que l’être humain porte en lui, de nouveaux poètes sociaux. En effet, on n’a pas besoin de modèles éducatifs qui soient de simples « usines à résultats », sans un projet culturel qui permette de former des personnes capables d’aider le monde à tourner la page, en éliminant les inégalités, la pauvreté endémique et l’exclusion.

Les pathologies du monde actuel ne sont pas une fatalité qu’il faut accepter passivement, encore moins confortablement. Les écoles, les universités, les centres culturels devraient enseigner à désirer, à avoir soif, à rêver, car, comme nous le rappelle la Deuxième épître de Pierre: « nous attendons de nouveaux cieux et une nouvelle terre, où habite la justice » (3,13).

Cela doit devenir le critère fondamental de discernement et de conversion pour nos pratiques culturelles et éducatives : la qualité des attentes. La question clé pour nos institutions est la suivante : « Qu’attendons-nous réellement ? » La réponse sincère sera peut-être décevante : le succès aux yeux du monde, l’honneur d’être dans le « classement » ou l’auto-préservation. Bien sûr, si c’était le cas, ce serait trop peu !

Frères et sœurs, l’expérience que Dieu nous permet de faire en est autre. Je me souviens de ce qu’Emily Dickinson écrit dans l’un de ses poèmes :

Comme si je demandais une simple aumône,

Et que dans ma main émerveillée

Un étranger imprimait un royaume,

Et que j’en restais déconcertée –

Comme si je demandais à l’Orient

S’il avait pour moi un matin –

Et qu’il levait ses digues pourpres,

Et m’enivrait d’aurore !

“S’enivrer d’aurore”, une belle image pour souligner ce processus.

Moi aussi, je vous exhorte: comprenez votre mission dans les domaines éducatif et culturel comme un appel à élargir vos horizons, à déborder de vitalité intérieure, à faire place à des possibilités inédites, à élargir les modalités du don qui ne devient plus ample que lorsqu’il est partagé. À un éducateur et à un artiste notre devoir c’est de dire : « Soyez généreux, prenez des risques ! ».

Nous n’avons aucune raison de laisser dominer par la peur. D’abord parce que le Christ est notre guide et notre compagnon de voyage. Deuxièmement, parce que nous sommes les gardiens d’un héritage culturel et éducatif plus grand que nous. Nous sommes les héritiers des profondeurs d’Augustin. Nous sommes les héritiers de la poésie d’Éphrem le Syrien. Nous sommes les héritiers des écoles cathédrales et de ceux qui ont inventé les universités. De Thomas d’Aquin et d’Edith Stein. Nous sommes les héritiers d’un peuple qui a commandé les œuvres du bienheureux fra Angelico et de Mozart ou, plus récemment, de Mark Rothko et d’Olivier Messiaen. Nous sommes les héritiers des artistes inspirés par les mystères du Christ. Nous sommes les héritiers de scientifiques avisés comme Blaise Pascal. En un mot, nous sommes les héritiers de la passion éducative et culturelle de nombreuses saintes et de nombreux saints.

Entourés d’une telle nuée de témoins, débarrassons-nous de tout fardeau de pessimisme ; le pessimisme n’est pas chrétien. Convergeons, de toutes nos forces, pour libérer l’être humain de l’ombre du nihilisme, qui est peut-être le fléau le plus dangereux de la culture actuelle, car c’est celui qui prétend effacer l’espérance. Et ne l’oublions pas : l’espérance ne déçoit pas, c’est la force. Cette image de l’ancre : l’espérance ne déçoit pas.

Si je peux partager un secret, j’éprouve parfois l’envie de crier à l’oreille de cette époque de l’histoire : « N’oubliez pas l’espérance ! ». Il y a parfois le mythe de Turandot : penser que l’espérance déçoit toujours. Je compte sur vous pour que l’année jubilaire, désormais proche, amplifie ce cri. Il y a tellement de choses à faire : c’est le moment de se retrousser les manches.

Aujourd’hui, le monde compte le plus grand nombre d’étudiants de l’histoire. Il y a des données encourageantes : environ 110 millions d’enfants achèvent leur scolarité primaire. Cependant, de tristes disparités demeurent. En fait, environ 250 millions d’enfants et d’adolescents ne sont pas scolarisés. C’est un impératif moral de changer cette situation.

Parce que les génocides culturels ne se produisent pas uniquement quant à la destruction du patrimoine. Frères et sœurs, c’est un génocide culturel lorsque nous volons l’avenir des enfants, lorsque nous ne leur offrons pas les conditions pour devenir ce qu’ils pourraient être. Quand on voit partout des enfants aller chercher dans les ordures des choses à vendre pour pouvoir manger. Pensons à l’avenir de l’humanité avec ces enfants.

Dans son livre Terre des hommes, Antoine de Saint-Exupéry parcourt les wagons de troisième classe d’un train rempli de familles de réfugiés. Il s’arrête à les regarder. Et il écrit : Je suis tourmenté par « une forme de blessure. […] Cela me tourmente que chez chacun de ces hommes il y a un peu Mozart assassiné. » Notre responsabilité est immense. Je le répète : immense ! Éduquer, c’est avoir l’audace de confirmer l’autre par cette expression de saint Augustin : « Volo ut sis » : « Je veux que tu sois ». C’est cela éduquer.

Un domaine particulièrement pertinent qui détermine le changement d’époque est celui des énormes progrès qui ont lieu dans le développement scientifique et les innovations technologiques. On ne peut ignorer aujourd’hui l’avènement de la transition numérique et de l’intelligence artificielle, avec toutes ses conséquences. Ce phénomène nous pose des questions cruciales. Je demande aux centres de recherche de nos universités de s’engager à étudier la révolution actuelle en cours, en mettant en lumière ses avantages et ses dangers.

Cependant, je le répète : il ne faut pas laisser le sentiment de peur l’emporter. Souvenez-vous que les transitions culturelles complexes s’avèrent souvent les plus fécondes et les plus créatives pour le développement de la pensée humaine. Contempler le Christ vivant nous permet d’avoir le courage de nous lancer vers l’avenir, en faisant confiance à la parole du Seigneur qui nous interpelle : « Passons sur l’autre rive » (Mc 4,35). S’il vous plaît, ne soyez pas des éducateurs à la retraite ! L’éducateur va toujours de l’avant, toujours.

Je vous remercie pour votre engagement et prie pour que le Saint-Esprit vous éclaire dans votre travail. Que Marie, Siège de la Sagesse, vous accompagne sur ce chemin. Je vous bénis tous. Et, s’il vous plaît, je vous demande de prier pour moi. Merci!

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NOTE

[1] Poésie J323, reprise dans une lettre d’Emily Dickinson du 7 juin 1862. Voici la poésie originale en anglais:

As if I asked a common Alms,

And in my wondering hand

A Stranger pressed a Kingdom,

And I, bewildered, stand –

As if I asked the Orient

Had it for me a Morn –

And it should lift it’s purple Dikes, And shatter Me with Dawn!

[Texte original: italien]

© Traduction, tous droits réservés vaticaninfo.com

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