Photo : © DP; Mexico, Mexique : des pèlerins marchent vers la basilique de Guadalupe pour célébrer la journée de la Vierge
Anita Bourdin
« La valeur la plus décisive que possède la personne humaine surpasse et soutient toute autre considération juridique », déclare le pape François aux évêques catholiques des États-Unis dans une lettre où il invite aussi les baptisés à « vivre dans la solidarité et la fraternité, à construire des ponts qui nous rapprochent toujours plus, à éviter les murs de l’ignominie et à apprendre à donner notre vie comme Jésus-Christ a donné la sienne pour le salut de tous ». Le pape en même temps réaffirme « le droit d’une nation à se défendre et à protéger » ses communautés.
Le pape François a en effet adressé une lettre, en anglais et en espagnol, aux évêques des États-Unis, en date de lundi 10 février 2025, et publié dans les deux langues ce mardi 11 février par le Vatican.
Le pape y évoque les « moments délicats » que des « frères dans l’épiscopat » vivent actuellement, « en tant que Pasteurs du Peuple de Dieu qui marchent ensemble aux États-Unis d’Amérique ».
Un « Dieu toujours proche, incarné, migrant et réfugié »
Le pape François évoque l’histoire biblique et « le voyage de l’esclavage à la liberté qu’a parcouru le peuple d’Israël, tel que le raconte le Livre de l’Exode », pour inviter les évêques catholiques des États-Unis à « regarder la réalité de notre temps, si clairement marquée par le phénomène de migration, comme un moment décisif de l’histoire pour réaffirmer non seulement notre foi en un Dieu toujours proche, incarné, migrant et réfugié, mais aussi la dignité infinie et transcendante de toute personne humaine ». Le pape cite à ce sujet son prédécesseur Pie XII.
Le pape insiste sur l’exemple du Christ lui-même comme au fondement l’enseignement social de l’Église: « Même un examen superficiel de la doctrine sociale de l’Église montre avec insistance que Jésus-Christ est le véritable Emmanuel (cf. Mt 1, 23) ; il n’a pas vécu à l’écart de l’expérience difficile d’être expulsé de son propre pays en raison d’un risque imminent pour sa vie et de l’expérience de devoir se réfugier dans une société et une culture étrangères aux siennes. Le Fils de Dieu, en se faisant homme, a choisi aussi de vivre le drame de l’immigration. »
Dans le sillage de Pie XII
Le pape François cite cette réflexion du pape Pie XII sur la Sainte-Famille de Nazareth: « « J’aime rappeler, entre autres, les paroles par lesquelles le pape Pie XII a commencé sa Constitution apostolique sur le soin des migrants, considérée comme la « Magna Carta » de la pensée de l’Église sur la migration : « La famille de Nazareth en exil, Jésus, Marie et Joseph, émigrés en Égypte et réfugiés là-bas pour échapper à la colère d’un roi impie, sont le modèle, l’exemple et la consolation des émigrés et des pèlerins de tout âge et de tout pays, de tous les réfugiés de toute condition qui, assaillis par la persécution ou la nécessité, sont contraints de quitter leur patrie, leur famille bien-aimée et leurs amis chers pour des terres étrangères ». » C’est Pie XII qui a voulu que soit célébrée chaque année une Journée mondiale du migrant et du réfugié en 1952: elle est célébrée le dernier dimanche de septembre. En septembre prochain, ce sera le 111e Journée mondiale.
Selon le site des évêques français « Église et migrations » (https://migrations.catholique.fr/outils-de-formation/leglise-et-les-migrations/296712-pie-xii/), « Pie XII est le premier pape à tenter une évaluation globale du phénomène migratoire qui tienne compte de ses multiples aspects (aspects sociaux, économiques, culturels, démographiques, anthropologiques, politiques, religieux et moraux, etc.). Dans la Constitution apostolique Exsul familia nazarethana (La famille exilée de Nazareth) du 1er août 1952, il formule ainsi une doctrine complète sur l’émigration, véritable première dans l’histoire de l’Église. »
Éduquer à la reconnaissance de la dignité de chacun
Le pape souligne l’exemple de Nazareth et du Christ comme exemple d’un « amour universel » pour tous, et comme une éducation « à la reconnaissance permanente de la dignité de tout être humain, sans exception ».
Plus précisément, le pape insiste sur le sens de l’expression « dignité infinie et transcendante »: « Nous souhaitons souligner que la valeur la plus décisive que possède la personne humaine surpasse et soutient toute autre considération juridique qui peut être faite pour réguler la vie en société. »
C’est pourquoi le pape invite « les chrétiens et les personnes de bonne volonté » à « considérer la légitimité des normes et des politiques publiques à la lumière de la dignité de la personne et de ses droits fondamentaux, et non l’inverse ».
Pour en venir à l’actualité, le pape évoque ce qu’il appelle « la crise majeure qui se déroule aux États-Unis avec le lancement d’un programme d’expulsions massives ».
Pour le pape il s’agit notamment de la formation correcte des consciences et de ne pas identifier migration et criminalité: « Une conscience correctement formée ne peut manquer de porter un jugement critique et d’exprimer son désaccord avec toute mesure qui identifie tacitement ou explicitement le statut illégal de certains migrants avec la criminalité.
Le droit de se défendre et de protéger
Mais le pape n’en reconnaît pas moins « le droit d’une nation à se défendre et à protéger les communautés contre ceux qui ont commis des crimes violents ou graves pendant leur séjour dans le pays ou avant leur arrivée ».
Pourtant, insiste le pape, il faut se garder de léser la dignité des personnes: « Le fait d’expulser des personnes qui, dans de nombreux cas, ont quitté leur propre pays pour des raisons d’extrême pauvreté, d’insécurité, d’exploitation, de persécution ou de grave détérioration de l’environnement, porte atteinte à la dignité de nombreux hommes et femmes, et de familles entières, et les place dans un état de vulnérabilité et d’impuissance particulière. »
Plus encore, pour le pape François, ce qui est en jeu c’est l’« État de droit » qui « se vérifie précisément dans le traitement digne que méritent tous, en particulier les plus pauvres et les plus marginalisés ».
Un autre point cardinal de l’enseignement social de l’Église est la recherche du « bien commun » que le pape évoque en ces termes: « Le véritable bien commun est promu lorsque la société et le gouvernement, avec créativité et dans le strict respect des droits de tous – comme je l’ai affirmé à de nombreuses reprises – accueillent, protègent, promeuvent et intègrent les plus fragiles, les plus défavorisés et les plus vulnérables. »
Et le pape réaffirme en même temps que « cela n’empêche pas le développement d’une politique qui réglemente la migration ordonnée et légale ». Il précise cependant les limites de cette politique, qui suppose l’équité, la reconnaissance d’une « égale dignité »: « Toutefois, ce développement ne peut se produire grâce au privilège des uns et au sacrifice des autres. Ce qui est construit sur la force, et non sur la vérité sur l’égale dignité de chaque être humain, commence mal et finira mal. »
« L’amour qui construit une fraternité ouverte à tous »
Cette dignité est, pour le pape, la clef d’une maturité des sociétés, dont la référence doit être le Bon Samaritain, comme il l’a affirmé dans son Fratelli tutti, le 3 octobre 2020: « La dignité infinie de tous que notre propre identité en tant que personnes et en tant que communautés atteint sa maturité. L’amour chrétien n’est pas une expansion concentrique d’intérêts qui s’étendent peu à peu à d’autres personnes et à d’autres groupes. Autrement dit : la personne humaine n’est pas un simple individu, relativement expansif, doté de quelques sentiments philanthropiques ! La personne humaine est un sujet digne qui, à travers la relation constitutive avec tous, en particulier avec les plus pauvres, peut progressivement mûrir dans son identité et sa vocation. Le vrai ordo amoris qu’il faut promouvoir est celui que l’on découvre en méditant constamment sur la parabole du « Bon Samaritain » (cf. Lc 10, 25-37), c’est-à-dire en méditant sur l’amour qui construit une fraternité ouverte à tous, sans exception. »
C’est pourquoi le pape met en garde contre toute dérive idéologique et la volonté de puissance, renvoyant au critère de la vérité: « Se soucier de l’identité personnelle, communautaire ou nationale, au-delà de ces considérations, introduit facilement un critère idéologique qui déforme la vie sociale et impose la volonté du plus fort comme critère de vérité. »
Dans cette direction, le pape salue le travail des évêques « en étroite collaboration avec les migrants et les réfugiés, en proclamant Jésus-Christ et en promouvant les droits humains fondamentaux »: « Dieu récompensera abondamment tout ce que vous faites pour la protection et la défense de ceux qui sont considérés comme moins précieux, moins importants ou moins humains ! »
Le message de la Vierge de Guadalupe
Il lance un appel vibrant aux catholiques des États-Unis: « J’exhorte tous les fidèles de l’Église catholique, ainsi que tous les hommes et femmes de bonne volonté, à ne pas céder aux récits discriminatoires et causant des souffrances inutiles à nos frères et sœurs migrants et réfugiés. Avec charité et clarté, nous sommes tous appelés à vivre dans la solidarité et la fraternité, à construire des ponts qui nous rapprochent toujours plus, à éviter les murs de l’ignominie et à apprendre à donner notre vie comme Jésus-Christ a donné la sienne pour le salut de tous. »
Enfin, le pape invoque l’Impératrice des Amériques, et il renvoie au message de la Vierge de Guadalupe, apparue à un Mexicain de la tribu des Chichimeca, saint Juan Diego, les 9 et 12 décembre 1531: « Demandons à Notre-Dame de Guadalupe de protéger les individus et les familles qui vivent dans la peur ou la douleur à cause de la migration et/ou de la déportation. Que la « Virgen Morena », qui a su réconcilier les peuples lorsqu’ils étaient hostiles, nous accorde à tous de nous retrouver frères et sœurs, dans ses bras, et de faire ainsi un pas en avant dans la construction d’une société plus fraternelle, inclusive et respectueuse de la dignité de tous. »