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Réflexions dominicales : «Changer sa vie entière, pas seulement changer quelque chose », par Mgr Follo

Photo : © 2024 Amis du Saint-Siège à l’UNESCO

Ancien observateur permanent du Saint-Siège auprès de l’UNESCO (2002-2021), journaliste, professeur de philosophie et d’anthropologie culturelle, Mgr Francesco Follo réfléchit sur le Carême s’appuyant sur les textes bibliques du dimanche 9 mars 2025 dans son blog Riflessioni domenicali.

Mgr Follo rappelle que « le but du Carême n’est pas la mortification, mais la rencontre avec le Christ, à Pâques ». « Certes ce chemin vers le Crucifié ressuscité nécessite une purification des yeux, du cœur et de l’esprit, pour regarder, aimer et comprendre les autres et soi-même comme Dieu le fait », écrit-il.

Voici les réflexions de Mgr Follo :

Ier dimanche de Carême – Année C – 9 mars 2025

Rite romain : Dt 26,4-10 ; Rm 10,8-13 ; Lc 4,1-13

Pourquoi le carême ?

En ce dimanche de Carême, l’Évangile nous conduit avec Jésus dans le désert, lieu de la rencontre et de l’intimité avec Dieu, mais aussi lieu de la lutte suprême avec le Tentateur. Le but de ces quarante jours est celui-ci : à l’exemple de Jésus-Christ qui s’est retiré dans le désert pour jeûner pendant quarante jours, l’Église nous fait vivre la même période de temps afin de nous préparer au fait que « encore une fois la Pâque du Seigneur vient à notre rencontre ! Pour nous y préparer, la Providence de Dieu nous offre chaque année le Carême, ‘signe sacramentel de notre conversion’, qui annonce et réalise la possibilité de retourner au Seigneur de tout notre cœur et de toute notre vie » (Pape François, Message pour le Carême 2019). Le but du Carême n’est pas la mortification, mais la rencontre avec le Christ, à Pâques. Certes ce chemin vers le Crucifié ressuscité nécessite une purification des yeux, du cœur et de l’esprit, pour regarder, aimer et comprendre les autres et soi-même comme Dieu le fait. Dans cet exode vers la « terre » de Dieu, la prière qui est « l’effusion de notre cœur dans celui de Dieu » (Padre Pio de Pietrelcina) est nécessaire. « Il est nécessaire que nous priions parce que la prière nous donne un cœur pur, et, un cœur pur sait aimer » (Mère Teresa de Calcutta) ; et, un cœur pur a un regard pur pour voir Dieu. Il est nécessaire de prier comme dans le 49e chapitre de sa Règle, saint Benoît recommande à ses moines de s’appliquer, pendant ce temps saint, à une prière « accompagnée de larmes », qu’elles soient de repentance ou d’amour.

S’il est utile de connaître le but du nombre quarante, attaché aux jours, il est utile aussi d’en connaître l’origine qui n’est pas dans l’évangile, mais que l’on trouve dans l’Ancien Testament.

Dans le livre de la Genèse, nous lisons qu’à cause du déluge, Noé, l’homme juste, passa quarante jours et quarante nuits dans l’arche, avec sa famille et les animaux que Dieu lui avait dit d’emporter avec lui. Et il attendit encore quarante jours, après le déluge, avant de toucher la terre ferme, sauvée de la destruction (cf. Gn 7,4.12; 8,6).

Le livre de l’Exode nous parle de Moïse qui resta quarante jours et quarante nuits en présence du Seigneur, sur le mont Sinaï où il reçut la Loi. Pendant tout ce temps, il jeûna (cf. Ex 24,18). Le Deutéronome, aussi, nous rappelle que la marche du peuple hébreu, de l’Égypte à la Terre promise, dura quarante ans et fut un temps privilégié pendant lequel le peuple élu fit l’expérience de la fidélité de Dieu. « Souviens-toi de tout le chemin que le Seigneur ton Dieu t’a fait faire pendant 40 ans… Le vêtement que tu portais ne s’est pas usé et ton pied n’a pas enflé, au cours de ces 40 ans ! », dit Moïse à la fin de ces quarante années dans le désert (Dt 8,2-4).

Quarante, c’est aussi le nombre d’années de paix dont put jouir Israël au temps des Juges (cf. Jg 3 11.30). Malheureusement, une fois ce temps révolu, c’est l’absence de mémoire des bienfaits de Dieu et le manque d’observance de la Loi qui prévalurent.

Quarante, c’est le nombre de jours nécessaires au prophète Élie pour parvenir au mont Oreb, sur lequel il rencontra Dieu (1 R 19-8).

Quarante, c’est le nombre de jours de pénitence que Jonas demanda aux habitants de Ninive, et ils obtinrent le pardon de Dieu (cf. Gn 3,4).

Quarante, c’est aussi le nombre d’années des règnes de Saül (cf. Ac 13,21), de David (cf. 2 Sm 5,4-5) et de Salomon (cf. 1 R 11,41), les trois premiers rois d’Israël.

Enfin, dans le Nouveau Testament, nous lisons que quarante jours après sa naissance, Jésus fut amené au Temple, et, au soir de sa vie, Siméon put rencontrer le Fils de Dieu qui était, lui, à l’aube de sa vie parmi les hommes. Et quarante c’est enfin le nombre de jours que Jésus passa sans manger dans le désert où il était allé, guidé par l’Esprit (cf. Lc 4,1-13). Dans la prière, Jésus se nourrit de la Parole de Dieu, en l’utilisant comme une arme pour vaincre le diable. C’est pendant ces quarante jours que le Rédempteur commença sa vie publique. Et quarante, c’est encore le nombre de jours pendant lesquels Jésus ressuscité instruisit ses disciples, avant de « conclure » son aventure humaine, de monter au ciel et d’envoyer l’Esprit-Saint (cf. Ac 1,3), pour qu’il la poursuive avec nous et en nous.

Quarante, c’est donc le chiffre symbolique par lequel l’Écriture sainte représente les moments saillants de l’expérience de foi du peuple de Dieu. Ce chiffre ne représente pas tant un temps chronologique, rythmé par la somme des jours, mais plutôt une période suffisante pour voir les œuvres de Dieu, un temps à l’intérieur duquel il faut se décider à assumer ses responsabilités sans les remettre à plus tard (ces pensées sur les quarante jours dans la Bible s’inspirent de l’enseignement de Benoit XVI lors de son audience du 22 février 2012)

Un temps providentiel

Outre la prière, pour vivre ce temps de carême comme un temps propice et providentiel, l’Église indique aussi le jeûne et la charité.

Pour expliquer brièvement ce qu’est le jeûne, j’utiliserais les termes de « mortification » et de « sacrifice » dans leur signification courante. Dans la langue courante, ils signifient la tempérance dans l’ardeur, dans l’instinct, la tempérance dans l’usage de l’instinct. « Temperare », en latin, veut dire « gouverner selon le but, en direction du but », et donc maintenir dans l’ordre. Nous pourrions alors traduire cette invitation au sacrifice, cette invitation à la mortification et au jeûne comme une fidélité à ce qu’il y a de « plus significatif » dans les choses. Il y a, en fait, une signification immédiate des choses : si l’on a faim, on se jette sur la nourriture ; si l’on éprouve de l’attrait pour une personne, on « utilise » l’autre pour satisfaire son instinct. Il y a un amour de complétude, un désir d’être reconnu qui, s’il n’est pas « tempéré », devient vaine gloire, orgueil, soif de pouvoir. Il y a une « gloutonnerie » dans l’instinct, un manque de tempérance. L’Église nous invite à « jeûner » pour que, par la tempérance, la nourriture soit vécue comme un moyen pour la route, et pour que nous nous comportions avec les autres comme des compagnons de route dans le pèlerinage de la vie, en les regardant comme des icônes de Dieu.

Liberté par rapport au résultat, qui nous rend finalement capables d’aimer l’autre, libres par rapport à sa réponse, à sa façon de correspondre : c’est vraiment la liberté, c’est vraiment l’amour et cela suffit : c’est l’amour, enfin, sans mentir. Et ensuite, liberté par rapport à soi-même, c’est-à-dire par rapport à ses propres goûts.

L’aumône est-elle la charité ?

Si l’on veut être rigoureux, la réponse est non. L’aumône n’est pas synonyme de charité, c’est une œuvre de charité. Mais il y a quelque chose de vrai dans cette assimilation fréquente, parce que l’aumône (qui vient du grec et qui veut dire avoir pitié, comme Dieu a toujours pitié de nous, surtout quand nous prions : « Seigneur, prends pitié », Kyrie Eleison) est un geste de charité, de compassion envers le pauvre.

Pourtant, il ne faut pas réduire la « charité » à la solidarité ou à une simple aide humanitaire. Un missionnaire combonien (le père Tiboni), qui a passé sa vie en Ouganda, disait souvent : « La plus grande charité que nous puissions manifester envers les Africains est de leur annoncer que le Christ est ressuscité. » Il n’y a pas de geste plus charitable envers le prochain que de « rompre le pain de la Parole de Dieu, le faire participer à la Bonne Nouvelle de l’Évangile, l’introduire dans la relation avec Dieu : l’évangélisation est la promotion la plus élevée et la plus complète de la personne humaine» (Benoît XVI, Message pour le Carême 2013).

Faire l’aumône veut dire vivre la réparation du péché d’autrui, se sentir solidaire du monde pour réparer. Il s’agit aussi de mettre la main à la poche, mais ne croyons pas que nous allons tout résoudre par notre aumône, par la charité des petites pièces, parce que ceci, c’est « une charité » mais ce n’est pas « la Charité ». La Charité véritable consiste à donner Dieu aux âmes. Il ne s’agit pas de changer certaines choses, mais de changer sa vie, vécue en sacrifice de communion.

Saint Augustin, au chapitre onze du De civitate Dei dit que l’unique sacrifice est la communion. L’unique sacrifice est le passage à la communion, c’est d’arriver à dire : « mon je, c’est toi ». L’unique sacrifice est donc l’amour. C’est la grande révolution apportée dans l’histoire d’abord par les prophètes, puis par Jésus. Son amour rend possibles tous les sacrifices pour affirmer (affermare) l’autre, même le sacrifice de sa propre vie. C’est pourquoi l’Église identifie les vierges et les martyrs comme la forme la plus élevée de l’amour, parce que la virginité et le martyre sont le témoignage que la plus grande joie de la vie est d’affirmer (affermare) l’autre, d’affirmer (affermare) que le tout, c’est l’autre, dans « l’aumône ». Ce mot vient du grec eléeo (= j’ai compassion), d’où à travers l’adjectif eléemon (= compatissant) arriva au mot latin (chrétien) eleemosyna et d’ici aux autres langues (p.ex. : français aumône, espagnole limosna, catalan almoina, anglais alms, allemand Almosen). Donc « faire l’aumône » dans le sens étymologique et chrétien du terme signifie donner compassion, miséricorde, en partageant le pain matériel et le Pain de Vie : Jésus Christ.

Dans son Commentaire sur la parabole des vierges sages, saint Jean Chrysostome exhorte tous, y compris lui-même : « Lavons notre âme dans l’aumône » et en s’adressant aux vierges, il continue : « Le feu de la virginité s’éteint si l’on ne verse pas sur lui l’huile de l’aumône et cette huile est en vente chez les pauvres. » (Homélie III, 2-4). 

Les vierges consacrées sont ces vierges prudentes qui ont « dépensé» toute leur vie pour se donner à Dieu et servir le prochain, dans la compassion (voir Rituel de consécration, n° 24 : « Qu’elles brûlent de charité et n’aiment rien en dehors de toi . ») Elles ne font pas seulement l’aumône, elles « sont » l’aumône de Dieu pour le monde.  Les vierges consacrées montrent que l’aumône n’est pas « l’argent simple offert rapidement, sans regarder la personne et sans s’arrêter pour parler pour comprendre ce dont elle a vraiment besoin », mais c’est « un geste d’amour qui se tourne vers ceux que nous rencontrons ; c’est un geste d’attention sincère envers ceux qui nous approchent et demandent notre aide, fait en secret où seul Dieu voit et comprend la valeur de l’acte fait » (Pape François).

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