Photo : © Vatican Media; le 26 avril 2025
Anita Bourdin
Un jeune catholique chinois a lu en mandarin la sixième intention de prière lors de la messe de funérailles du pape François, ce samedi 26 avril 2025, place Saint-Pierre, devant quelque 200 000 personnes, les délégations de 160 États et des millions de téléspectateurs dans le monde. Le pape François a exprimé régulièrement son admiration pour le « noble peuple chinois ».
En effet, les personnalités qui ont lu une intention de « prière universelle » sont significatives: trois femmes, trois hommes, de France, de Syrie, du Brésil, de Pologne, d’Allemagne et de Chine.
Prière « universelle »
C’étaient tous des laïcs, comme les deux lecteurs des lectures de la messe, confiées en anglais à Kielce Gussie, journaliste des États-Unis, et en espagnol à Edgar Pineda, qui se définit comme « séminariste missionnaire du Venezuela », « Andin au coeur d’indigène ».
La première prière a été lue en français, par Roselyne de Feraudy, – photographe française -, la deuxième en arabe, par Rand Abou Ackl – melkite syrien, archéologue -, en portugais par Bianca Fraccalvieri – journaliste brésilienne, qui travaille pour les réseaux sociaux du Vatican -, en polonais par Krzysztof Bronk – de Radio Vatican et naguère militant de la Fédération de la jeunesse combattante à Gdynia -, en allemand par Franziska Dörr – secrétaire de la Confrérie de la Mère de Dieu des douleurs au Vatican -, et par Agostino Liu Bo, en chinois.
Le jeune chinois a lu cette prière: « Pour nous réunis ici, afin qu’après avoir célébré les saints mystères nous puissions un jour être appelés par le Christ dans son règne glorieux. »
Sa présence et sa langue ont tellement frappé les commentateurs que plusieurs sites en anglais – et du coup dans d’autres langues, même en indonésien – vont jusqu’à lui attribuer, erronément, le titre de « cardinal Liu Bo »!
Notons que Liu Bo est certes un nom chinois, mais c’est aussi le nom d’un art martial italien, qui a ses origines en Sicile, et dont l’arme est un bâton de bois d’olivier. Inculturation…
Un accord historique
Les commentateurs ont rappelé, en entendant le mandarin résonner, le geste historique du pape François pour les catholiques de Chine. Le pape François a voulu résoudre ce qui ressemblait à un « schisme » de l’Église catholique en Chine continentale, naguère classée en deux groupes l’Église « patriotique » officielle, avec des évêques nommés sans l’accord de Rome, et l’Église fidèle à Rome, « clandestine », dont les papes nommaient les évêques. Mais certains évêques étaient aussi nommés avec l’accord et de Rome, et de la Chine. Les frontières n’étaient donc pas aussi définies que l’on pourrait l’imaginer depuis une lecture occidentale de la situation. Et certaines paroisses réputées « clandestines » ont construit telle ou telle église, bien visible.
En effet, par un accord, de septembre 2018, le pape François a reconnu les évêques nommés par la Chine sans son aval, il a pardonné aux évêques « dissidents », et il a du même coup repris totalement la main sur les nominations d’évêques en Chine continentale. L’accord, provisoire, a été reconduit pour quatre ans en 2024.
On se souvient que ce que Jean-Paul II n’avait pas pu obtenir pour le synode sur l’Asie, en octobre 1999, le pape François l’a obtenu: deux évêques chinois ont participé au premier synode sur la synodalité en octobre 2023 au Vatican: Mgr Zhan Silu, évêque de Jining/Wumeng, et Mgr Joseph Yang Yongqiang, du diocèse de Hangzhou. En 1999, les sièges prévus pour les évêques chinois étaient restés symboliquement vides. Mais Jean-Paul II a ensuite publié son exhortation apostolique également en chinois.
Admiration et respect du pape François
Plus encore, nouveau signe de l’attention du pape François pour les catholiques de Chine, à partir du 4 décembre 2024, un résumé de la catéchèse du pape François a été lu chaque mercredi en chinois.
Dans un message de septembre 2018, le pape François a défini la Chine comme « une terre riche en grandes opportunités » et le peuple chinois comme « le créateur et le gardien d’un patrimoine inestimable de culture et de sagesse, qui s’est affiné en résistant à l’adversité et en intégrant la diversité, et qui, sans surprise, depuis l’Antiquité, est entré en contact avec le message chrétien »
Lors de son voyage apostolique en Mongolie, lors de la messe à Oulan-Bator, le 3 septembre 2023, il a aussi adressé « un salut chaleureux au noble peuple chinois » exhortant les catholiques chinois à « être de bons chrétiens et de bons citoyens ».
Il avait aussi exprimé son désir de se rendre en Chine, un pays pour lequel il disait son admiration et son respect dans l’avion qui le ramenait de Singapour, le 13 septembre 2024: la nation chinoise représente, disait-il, « une promesse et une espérance pour l’Église ».
Actuellement, le portail de Radio-Vatican News, propose des informations en chinois traditionnel et simplifié, indique le site d’actualité du Saint-Siège. Mais la naissance du programme en chinois de la radiotélévision pontificale remonte à 1950. Dans le quotidien du Vatican, L’Osservatore Romano, les caractères chinois ont été imprimés pour la première fois en février 1981, lorsque Jean-Paul II a prononcé par surprise un discours devant le monument de la paix d’Hiroshima dans cette langue également. En 2009, la le chinois a été introduit sur le site officiel du Saint-Siège vatican.va . Quant à l’agence vaticane missionnaire Fides, des nouvelles en chinois simplifié y sont publiées depuis 1998.
Réactions à la mort du pape François
« Yi Hui Yi Tuan » – littéralement « Une Association et une Conférence », formule qui désigne l’Association patriotique catholique chinoise et la « Conférence épiscopale chinoise » – a envoyé au Vatican un message de condoléances pour le décès du Pape François, a expliqué Fides, justement, le 25 avril. La nouvelle a été diffusée par l’agence Xin Hua (Nouvelle Chine), l’agence de presse officielle de la République populaire de Chine. Le message de condoléances est daté du jeudi 24 avril.
Le site officiel de l’Association patriotique et de la soi-disant « Conférence épiscopale de l’Église catholique en Chine » avait diffusé l’annonce du décès du pape François en ces termes : « Le Pape François est retourné à la Maison du Père le 21 avril 2025 à 7h35 dans la Résidence Sainte-Marthe, à l’âge de 88 ans. Prions pour que, grâce à la miséricorde de Dieu, le Pape François puisse jouir de la béatitude éternelle au ciel ».
Le 22 avril, Guo Jiakun, porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, a exprimé ses « condoléances » pour le décès du Pape François, soulignant que « ces dernières années, la Chine et le Vatican ont maintenu des contacts constructifs et ont eu des échanges amicaux », toujours selon Fides qui ajoute: « Les sites web, les réseaux sociaux et tous les médias chinois continuent de publier des informations sur la mort du Souverain Pontife. Les commentaires et les réflexions sont principalement empreints d’estime et de gratitude, notamment pour la contribution apportée par l’évêque de Rome à la paix dans le monde. L’amour qu’il a maintes fois manifesté pour le peuple chinois et les catholiques chinois est également rappelé. »
Catholiques de Chine
La nouvelle du décès du pape François est parvenue en Chine en fin d’après-midi le 21 avril, rapporte Fides: « Les médias locaux ont largement relayé la nouvelle, reprenant les paroles du Souverain Pontife sur l’amour qu’il portait à la Chine et à la communauté catholique chinoise. Immédiatement, le petit troupeau de catholiques chinois s’est arrêté pour prier pour l’âme de l’évêque de Rome. »
Des catholiques se sont « rassemblés spontanément dans les églises pour prier, notamment avec le Saint Rosaire, pour leur Pape bien-aimé. Les réseaux sociaux ont été envahis de messages de condoléances de prêtres et d’évêques ».
« Un grand pasteur a quitté le monde après l’avoir béni hier ! », a écrit un prêtre en référence à la bénédiction Urbi et Orbi du dimanche de Pâques: « Un bon pasteur. Il a choisi de partir après Pâques, nous permettant ainsi de célébrer la Résurrection ! », dit un autre, toujours selon Fides, et des paroisses ont annoncé des messes de requiem pour le défunt pape.
Un autre Chinois baptisé en Italie
Le fait qu’un jeune catholique chinois, baptisé « Agostino » ait lu une intention de prière a fait aussi se souvenir d’un autre « Agostino », connu le 12 janvier 2016 pour avoir présenté devant la presse pas moins que le livre du pape François « Le nom de Dieu est miséricorde », aux côtés du cardinal vénitien, alors secrétaire d’État, Pietro Parolin, et du grand humoriste toscan, Roberto Benigni. Un livre-conversation du pape François écrit avec le journaliste italien Andrea Tornielli présenté à l’Augustinianum: justement c’est saint Augustin qui donne son nom à ce centre d’étude des Pères de l’Église, dont le jeune Agostino avait voulu prendre le nom le jour de son baptême.
Le pape a voulu que l’on se penche sur la situation ans les prisons et des détenus ont pu suivre les obsèques du pape en direct à la télévision Or le jeune Zhang Agostino Jianqing, avait émigré en Italie en 1997. Puis, avec une jeunesse turbulente, il a été condamné à 20 ans de réclusion, à 19 ans. C’est donc en tant que jeune détenu chinois de 30 ans, qu’il a présenté le livre du pape, avec une permission spéciale.
Les larmes de la mère
Il a expliqué comment il a choisi, en prison, le nom de saint Augustin comme nom de baptême. Ce sont les larmes de sa mère, qui ont fait brèche dans le cœur du jeune homme alors qu’il était en prison. Et il n’a demandé le baptême qu’après avoir confié son amour du Christ à sa maman qui, quoique bouddhiste pratiquante, l’a encouragé à suivre son chemin. Il a reconnu dans sainte Monique, qui a pleuré et prié pendant quinze ans pour la conversion de son fils, devenu ensuite le grand saint Augustin, une image de sa propre mère.
Il avoue que ce sont « ses larmes » qui l’ont « aidé à percevoir le mal » fait à sa famille : « Mon cœur tremblait, se sentait brisé, et le désir émergeait de ne plus faire souffrir » sa maman. Puis il fait le récit des miséricordes reçues. Avant son transfert à Padoue, il a rencontré un bénévole – qui a été en 2015 son parrain de baptême – : « Cet homme a été le premier cadeau du Seigneur qui m’a fait miséricorde même quand je ne le savais pas. Alors voilà l’importance pour lui du premier livre du pape François : « Ce livre m’aide à comprendre ! »
La coopérative en prison
Il a choisi le nom d’Agostino, après avoir connu l’histoire de saint Augustin d’Hippone et de sa mère sainte Monique, qui a versé tant de larmes pour son fils. Il y retrouvait « un peu » sa « situation » et, dit-il, les « fleuves de larmes » que sa mère a versées pour lui. Il évoque ce bénévole de Belluno (en Vénétie) : « Son visage, son regard m’a semblé immédiatement familier, j’ai ressenti réconfort et paix intérieure, alors que je ne comprenais ni ne parlais l’italien. » Il a ressenti le besoin de se libérer du mal, dit-il, grâce à « son regard de compassion » : il s’est senti « soutenu, encouragé ».
Après son transfert à Padoue, en 2007, il a l’occasion, grâce à un compatriote chinois, Andrea, de travailler dans une coopérative. Il se rend compte que les gens de la coopérative les « aiment » comme « des personnes, pas comme des numéros ou des fiches ». Et il lui vient le désir de recevoir le baptême pour être à son tour « heureux ».
Merci au pape François
Il a dit son « merci au pape François » parce qu’il n’aurait jamais pu imaginer « participer à la présentation livre du pape ni avoir la possibilité de lui serrer la main comme c’est arrivé hier » : « Beaucoup, dit-il, auraient plus droit et besoin que moi d’être ici. » Puis il ajoute : « La miséricorde de Dieu a changé ma vie, mais ce ne serait pas possible sans les frères et les amis de la prison de Padoue qui sont ici, tous, dans mon cœur, ils sont présents ici, et les prisonniers du monde qui n’ont pas eu la même chance. Merci de l’affection et de la tendresse que le pape ne manque pas de nous témoigner, pour les pages de ce livre, qui viennent du cœur d’un pasteur miséricordieux. Nous nous souvenons toujours de toi dans nos prières. » Un témoignage qui ne fait que désirer mettre davantage en pratique ce que le pape François demande : qu’il y ait une Porte sainte dans les prisons pendant toute l’Année de la miséricorde, et pratiquer la visite des prisonniers, comme œuvre de miséricorde.
C’est, ce samedi 26 avril, en quelque sorte l’anniversaire du baptême d’Agostino Jianqing, qui a été baptisé le 11 avril 2015, mais c’était, comme ce samedi, la veille du dimanche de la Miséricorde, une fête que l’Église célèbre justement demain, 27 avril. Cette fête correspond bien au pontificat du pape, non seulement à ses enseignements mais aussi au grand jubilé de la miséricorde (2015-1016).