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Réflexions dominicales : le Christ «nous invite à rester avec lui», par Mgr Follo

Photo : © 2024 Amis du Saint-Siège à l’UNESCO

Ancien observateur permanent du Saint-Siège auprès de l’UNESCO (2002-2021), journaliste, professeur de philosophie et d’anthropologie culturelle, Mgr Francesco Follo réfléchit sur les textes bibliques du dimanche 4 mai 2025 dans son blog Riflessioni domenicali.

S’appuyant sur un épisode de la pêche miraculeuse (Jn 21, 1-19), Mgr Follo affirme que « Jésus manifeste sa propre présence à certains apôtres pour les confirmer dans la vocation d’être embarqués dans et par l’amour infini, miséricordieux et fidèle, comme les poissons ‘embarqués’ du fait de cette pêche extraordinaire ». « Ce n’est pas seulement une apparition pour les confirmer dans la certitude de sa résurrection, explique-t-il, mais c’est aussi une reprise de la mission d’être des pêcheurs d’hommes. À travers les apparitions, Jésus manifeste une présence sainte et fidèle. Aujourd’hui, comme avant, il nous invite à rester avec lui, sur le rivage du lac. »

Mgr Follo « propose de répéter souvent cette belle prière de saint Augustin : « Garde, Seigneur, nos cœurs unis pour toujours, pour que, en te suivant, toi seul, le long du chemin, notre affection devienne charité » ».

Voici les réflexions de Mgr Follo :

Le Christ ressuscité nous invite à pêcher et à manger avec lui

IIIe Dimanche de Pâques – Année C – 4 mai 2025

Rite romain : Ac 5, 27b-32, 40b-41; Ps 29; Ap 5, 11-14; Jn 21, 1-19

Christ est l’amour qui demande à être suivi

Avant-propos :

Pour expliquer le récit de l’Évangile d’aujourd’hui, j’utilise l’Anneau du Pêcheur. Depuis le premier millénaire chrétien, l’anneau a été l’insigne propre de l’évêque. L’Anneau qui est donné au Pape le jour du début de son ministère pétrinien, est appelé l’Anneau du Pêcheur qui a l’image-sceau de saint Pierre et de sa barque avec un filet. Cet anneau a la signification particulière de l’Anneau qui authentifie la foi et signifie le devoir confié à Pierre de confirmer ses frères (cf. Lc 22,32). On l’appelle l’Anneau du Pêcheur parce que Pierre est l’apôtre-pêcheur (cf. Mt 4, 18-19 ; Mc 1, 16-17) qui, ayant eu foi en la parole de Jésus (cf. Lc 5, 5), a tiré du bateau les filets de la pêche miraculeuse sur terre (cf. Jn 21, 3-14).

La mission du Christ devient celle de son Vicaire et aussi la nôtre qui reconnaissent filialement au Pape la primauté de l’amour : tirer nos frères et sœurs de la mort. L’aspect institutionnel de l’Église, représentée par Pierre, est fondé sur l’amour et le pardon accepté et accordé. L’aspect charismatique, représenté par le disciple bien-aimé, est l’âme et la mesure de chaque institution : c’est l’amour qui vit pour toujours. Tout le reste est « fonctionnel » : à accepter ou à rejeter selon qu’il sert ou non à aimer. L’Église a pour principe et fin la liberté d’aimer.

La messe « en communion avec le Pape est un mémorial de l’immense amour de ton Fils, que toute la famille humaine, par l’action missionnaire de l’Église, goûte le fruit de la rédemption » (Oraison sur les offrandes, Messe au début du Pontificat).

Ce qui vaut pour la première communauté chrétienne réunie autour de Jésus et appelée par lui à témoigner de la miséricorde de Dieu en apportant la conversion et le pardon à « toutes les nations », est valable pour l’Église actuelle. Aujourd’hui encore, la vocation de l’Église est de faire resplendir dans le monde le visage miséricordieux de Dieu, d’apporter la paix du Christ ressuscité à une humanité qui n’est jamais répudiée, mais assumée avec toutes ses blessures et ressuscitée par la joie du pardon.

Le Christ ressuscité est toujours présent parmi les siens

Il y a trois dimanches, à Pâques, le premier de tous les dimanches, nous avons fêté la victoire du Verbe de Vie qui est lumière. Cette lumière a vaincu les ténèbres et c’est le début d’une vie qui n’est pas soumise à l’usure du temps parce qu’elle est transposée dans la jeunesse éternelle de Dieu.

Nous avons célébré la victoire de l’Amour qui est plus fort que la mort et que le péché qui fait entrer dans le monde, la mort et ses ténèbres.

Dimanche dernier, le 2e dimanche de Pâques, les récits évangéliques nous ont rappelé la tendresse de Jésus envers Thomas, son disciple passionné mais absent lors de la première apparition du Ressuscité au cénacle. Devant la présence concrète du Rédempteur, cet apôtre a reconnu le Christ, et a prononcé les paroles les plus belles et les plus splendides de la foi chrétienne : « Mon Seigneur, Mon Dieu ». Jésus regarda Thomas avec ses yeux pleins de miséricorde. Ensuite, avec un regard de sérénité et de confiance qui donne courage et audace, qui dégage passion et force irrésistible, il invita tous les apôtres à aller jusqu’aux frontières extrêmes de la terre pour annoncer l’Évangile : la nouvelle la plus belle et la meilleure dont l’homme de tous les temps et de tous les lieux a besoin absolu.

En ce troisième dimanche de Pâques, Jésus manifeste sa propre présence à certains apôtres pour les confirmer dans la vocation d’être embarqués dans et par l’amour infini, miséricordieux et fidèle, comme les poissons « embarqués » du fait de cette pêche extraordinaire, dont l’Évangile d’aujourd’hui nous parle. Ce n’est pas seulement une apparition pour les confirmer dans la certitude de sa résurrection, mais c’est aussi une reprise de la mission d’être des pêcheurs d’hommes. À travers les apparitions, Jésus manifeste une présence sainte et fidèle. Aujourd’hui, comme avant, il nous invite à rester avec lui, sur le rivage du lac (cf. Jn 21,4).

Par sa présence, il démontre que l’Amour donné gagne sur la mort pour lui-même et pour ses amis, Judas compris. N’oublions pas que, lorsque Judas est allé trahir le Christ, celui-ci fut appelé par Jésus « Ami ». Comment ne pas penser que cette parole n’ait pas transpercé en bien le cœur du traître ? Peut-être qu’au dernier moment, en se souvenant de cette parole et du baiser accepté par Jésus, ce même Judas a perçu que Jésus l’aimait encore et qu’il le recevait avec les siens dans l’au-delà.

Lors de la dernière Cène, Jésus dit à tous les apôtres : « je ne vous appelle plus serviteurs, mais amis » (Jn 15,15). Jésus nous fait aussi ce don de nous appeler « amis ». Nous sommes réellement ses amis. Jésus nous parle d’ami à amis et nous demande de nous aimer les uns les autres, présentant son amour comme la source, le modèle et la mesure de notre amour fraternel partagé (cf. Jn 15,12). En bref, nous pouvons dire que le Ressuscité invite ses apôtres et, aujourd’hui, nous aussi, à rester avec lui. Il faut rester avec lui, greffés à lui comme les sarments à la vigne pour avoir sa Vie, « il faut rester avec Jésus pour pouvoir rester avec les autres » (Benoît XVI, à la Fraternité sacerdotale Saint-Charles Borromée le 13 février 2011). Le pape François complète cet enseignement en invitant à choisir de faire confiance à Jésus. Pierre lui dit : « D’accord : sur ta parole, je vais jeter les filets ». « Attention ! – explique le pape François – Pierre ne dit pas : sur mes forces, sur mes calculs, sur mon expérience de pêcheur expert, mais « sur ta parole », sur la parole de Jésus ! Et le résultat est une pêche incroyable ». Le pape ajoute : « Il faut avoir confiance en Jésus. Et quand je dis cela, (…) Je ne viens pas ici pour vous vendre une illusion. Je viens ici pour dire : il y a une Personne qui peut te porter en avant : fais-Lui confiance ! C’est Jésus ! Faites confiance à Jésus ! Et Jésus n’est pas une illusion ! » (à Cagliari, le 22 septembre 2017).

En restant avec lui, nous partageons l’Amour qui dure toujours et pour tout le monde.

Le pouvoir qui naît de l’amour : m’aimes-tu?…je t’aime bien…fais paître mes agneaux

Après le repas où les apôtres ont mangé le pain offert par le Ressuscité et le poisson grillé résultant de la pêche exceptionnelle, commence le dialogue entre Jésus et Pierre. Jésus lui rappelle sa trahison, sa défection. Il suffit qu’une servante pose des questions pour que Pierre s’écroule et se ridiculise. Pour Pierre, ce souvenir est douloureux. Mais Jésus ne lui demande aucune explication, aucune excuse. Il lui demande uniquement s’il l’aime.  Que son nouveau Pontife soit fort et cohérent n’intéresse pas Jésus. Ce qui l’intéresse, c’est de savoir s’il l’aime et s’il désire encore le suivre. Celui qui sera l’évêque de Rome, qui préside la charité, reçoit sa charge par un « examen » sur la charité. À Pierre qui lui offrait sa douleur, le Christ donne la confirmation de son amour. Le chemin de la sainteté ne consiste pas en n’avoir jamais trahi, mais consiste en le renouvellement de notre amitié pour le Christ, chaque jour.

Dans le récit évangélique d’aujourd’hui, les trois questions de Jésus sont toujours différentes, parce que Jésus s’adapte aux réponses de Pierre.

            –  À la 1ère question : « M’aimes-tu  (en grec agapas me da agapào) plus que tous? », Pierre répond, mais en éludant les termes précis de Jésus : en fait, Jésus utilise un verbe rare, celui de l’agape, le verbe sublime de l’amour absolu, de l’amour d’oblation. Par contre, Pierre répond avec un verbe humble, quotidien, celui de l’amitié et de l’affection (en grec filèo) : je t’aime bien (filo se). Il ne compare pas avec les autres.

            – Voici la 2e question : Simon, fils de Jean, m’aimes-tu? (agapàs me)? Jésus comprend la difficulté de Pierre et en demande moins : non plus la comparaison avec les autres mais il conserve la demande de l’amour absolu (agàpe). Pierre répond encore oui, mais il le fait comme s’il n’avait pas bien compris, utilisant encore son verbe (filèo), plus sécurisant, humain, le nôtre : je suis ton ami, tu le sais, je t’aime bien. Il n’ose pas parler d’amour, il s’agrippe à l’amitié, à l’affection.

            – À la 3e question, Jésus change de verbe, il baisse l’exigence à laquelle Pierre n’arrive pas à répondre. Il se rapproche de son cœur incertain, il en accepte les limites et adopte son verbe : Pierre, m’aimes-tu bien? (fileìs me de fileo)? Il lui demande l’affection, si c’est trop de demander l’amour ; il lui demande au moins l’amitié, si l’amour fait peur ; il demande simplement un peu de bien.

Jésus démontre son amour en baissant par trois fois les exigences de l’amour, en adaptant son pas sur le pas plus lent du disciple, comme sur la route vers Emmaüs. Enfin, Jésus accepte que Pierre l’aime comme Pierre pense qu’il est possible pour lui de l’aimer. Comme Il sait que Pierre l’aime réellement et totalement, Jésus lui confie « la primauté de l’amour pour faire paître l’Église « , il lui met sur ses épaules le pouvoir qui vient de la charité (agàpe).

Pierre, qui a su reconnaître sa propre pauvreté et recevoir l’amour du Christ, pourra servir, faire paître ses frères, pauvres, nécessiteux d’amour et de vérité. Pierre est prêt : Il pourra aider ses frères pauvres, maintenant qu’il a accepté sa pauvreté. Il a mendié l’amour du Seigneur qui l’invite à le suivre, toujours.

Même les vierges consacrées « imitent » ce dialogue lors de l’appel de l’évêque pendant le rite de consécration : (n°14 du rituel de consécration) L’évêque s’adresse à la candidate en disant : « Le Seigneur vous appelle à le suivre (avancez à sa rencontre) ».

La candidate répond : « Me voici, Seigneur puisque tu m’as appelée » ou encore « me voici pour m’attacher au Seigneur sans partage ».

Et nous?

À Pierre, et à chacun de nous, Jésus adresse la parole finale de l’Évangile romain d’aujourd’hui : « suis-moi ». Nous suivons le Christ derrière Pierre, en n’oubliant pas un fait significatif : Jésus-Christ apparaît en premier lieu aux femmes, ses fidèles « suiveuses» et non aux disciples qu’il avait choisis comme porteurs de son Évangile dans le monde.

Il confie avant tout aux femmes le mystère de sa résurrection, les rendant premiers témoins de cette vérité. Peut-être veut-il récompenser leur délicatesse, leur sensibilité à son message, leur force qui les avait portées jusqu’ au Calvaire. Peut-être veut-il manifester un trait exquis de son humanité, la gentillesse avec laquelle il s’approche des personnes les moins considérées dans le grand monde ce temps-là. Ceci ressort du texte de Mathieu (28,9-10) : « Et voici que Jésus vint à leur rencontre et leur dit : Je vous salue. Elles s’approchèrent et, lui saisissant les pieds, elles se prosternèrent devant lui. Alors, Jésus leur dit : soyez sans crainte, allez annoncer à mes frères qu’ils doivent se rendre en Galilée, c’est là qu’ils me verront. »

Même l’épisode de l’apparition à Marie Madeleine (Jn 20,11-18) est d’une extraordinaire finesse aussi bien de la part de cette femme qui exprime tout son dévouement passionné et sobre envers le maître que de la part de celui-ci qui la traite avec une délicatesse exquise et bienveillante. L’Église devra donner importance au fait que le Christ a donné cette préséance aux femmes pendant les évènements pascals. Elle devra continuer à s’appuyer sur elles pour sa vie de foi, de prière et d’apostolat. 

À mon avis, les vierges consacrées nous donnent l’exemple de cette vie offerte à Dieu dans la consécration qui rend l’amour achèvement de la foi (Gal 5,6). Ce que Saint Augustin dira dans une de ses pensées mémorables : « Ceci veut finalement dire : croire dans le Christ est aimer le Christ » (Hoc est enim credere in Christum, diligere Christum » in Enarr. In Ps. 130,1 ; PL37, 1704). À l’exemple de leur vie, les vierges consacrées nous montrent aussi que l’Amour de Dieu nous pousse à transférer cet amour à nos frères et sœurs.

“Par leur vocation particulière, les femmes qui reçoivent la consécration virginale dans l’Église puisent aussi à ce mystère : pour l’amour du Christ aimé au-dessus de tout, elles renoncent à l’expérience du mariage humain pour lui être unies par un lien sponsal, pour expérimenter et témoigner dans la condition virginale (1 Co 7, 34) de la fécondité d’une telle union, et pour anticiper la réalité de la communion définitive avec Dieu à laquelle l’humanité entière est appelée (Lc 20, 34-36) » (Congrégation  pour les Instituts de Vie Consacrée et les Sociétés De Vie Apostolique Instruction sur l’Ordo Virginum Ecclesiae Sponsae Imago, N. 18, 8 Juin 2018)

 Conseil pratique :

Je propose de répéter souvent cette belle prière de Saint Augustin : « Garde, Seigneur, nos cœurs unis pour toujours, pour que, en te suivant, toi seul, le long du chemin, notre affection devienne charité » (Custodi, Domine, animas nostras in perpetuo iunctas, ut te solum  sequentes in via dilectio nostra caritas fieri posset).

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