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Réflexions dominicales : «s’aimer les uns les autres avec le cœur du Christ», par Mgr Follo

Photo: © capture-vaticaninfo.com; CR1

Ancien observateur permanent du Saint-Siège auprès de l’UNESCO (2002-2021), journaliste, professeur de philosophie et d’anthropologie culturelle, Mgr Francesco Follo réfléchit sur les textes bibliques du dimanche 18 mai 2025 dans son blog Riflessioni domenicali.

Expliquant la nouveauté du commandement du Christ, Mgr Follo note que « le commandement d’aimer comme le Christ nous a aimés n’est pas une nouvelle loi, car il ne nous a pas demandé quelque chose de plus difficile que ce demandé par les précédentes lois ». Cependant « la loi d’amour que le Rédempteur nous donne est nouvelle, car c’est l’indication d’une vie vécue comme un don, pour une existence à vivre dans le plein partage de confiance amoureuse, de total abandon à la tendre miséricorde de Dieu ».

Voici les réflexions de Mgr Follo :

Un nouveau commandement pour un nouvel amour

V Dimanche de Pâques – Année C  

Rite romain: At 14-21b; Ps 144(145); Ap 21,1-5a; Jn 13,31a.34-35.

Pourquoi un commandement nouveau ?

Pourquoi un commandement connu depuis l’Ancien Testament (voir Lc 19,18) est-il appelé « nouveau » ? À cet égard, la distinction entre ancien et âgée est utile. Dans ce cas, « nouveau » ne s’oppose pas à « ancien », mais à « âgée ». Même l’évangéliste Jean écrit dans un autre passage : « Bien-aimés, ce n’est pas un commandement nouveau que je vous écris, mais un commandement ancien …Et pourtant, c’est un commandement nouveau que je vous écris » (1 Jn 2, 7-8). En bref, s’agit-il d’un nouveau commandement ou d’un ancien commandement ? L’un et l’autre. Il est ancien selon la lettre, car il a été donné depuis longtemps ; c’est nouveau selon l’Esprit, car c’est seulement avec le Christ que la force nous est donnée pour le mettre en pratique. Dans l’évangile d’aujourd’hui, le nouveau n’est pas opposé à l’ancien mais à l’âgée. Aimer son prochain « comme soi-même » était devenu un commandement « vieux », faible et usé, à force d’être violé, parce que la Loi imposait l’obligation d’aimer, mais ne donnait pas la force pour le faire.  

Le commandement d’aimer comme le Christ nous a aimés n’est pas une nouvelle loi, car il ne nous a pas demandé quelque chose de plus difficile que ce demandé par les précédentes lois. La loi d’amour que le Rédempteur nous donne est nouvelle, car c’est l’indication d’une vie vécue comme un don, pour une existence à vivre dans le plein partage de confiance amoureuse, de total abandon à la tendre miséricorde de Dieu.  

Le commandement que le Christ nous donne est nouveau, car, alors que la loi humaine nous oblige de l’extérieur, la loi chrétienne est une invitation qui fait prospérer le cœur humain et le rend capable de donner à Dieu et à son prochain. 

En fait, le nouveau commandement exige l’amour de l’un pour l’autre et il ne s’agit pas d’une simple philanthropie. Le commandement est nouveau si on aime comme le Rédempteur aime : « Comme je vous ai aimé ». « Comment, Seigneur ? » C’est ce « comment » qui fait la différence. Comment ? En aimant tel que nous sommes, sans prétendre, sans réagir, toujours et à jamais, au point de donner la vie et pas seulement aux amis, mais surtout à nos ennemis. Comme le Christ l’a fait, il nous a aimés jusqu’à la mort. 

En réalité, ce n’est pas quand – au cours de sa vie – Jésus formule ce commandement de l’amour qu’il devient nouveau. C’est en mourant sur la croix et en nous donnant le Saint-Esprit que le Christ nous rend capables de nous aimer les uns les autres, en nous inculquant l’amour que, Lui-même, il a pour chacun de nous.

De plus, le commandement de Jésus est un commandement nouveau au sens actif et dynamique : car il « renouvelle », nous rend nouveaux, transforme tout. « C’est cet amour-là qui nous renouvelle, pour que nous soyons des hommes nouveaux, les héritiers du testament nouveau, les chantres du cantique nouveau. » (Saint Augustin d’Hippone). 

Le don d’un commandement nouveau : la loi de la charité

 « Aimez » : ce commandement que Christ nous a donné, est la « Magna Carta » du Peuple qui, né des côtes transpercées et transformé de manière sainte par l’Amour. La charité du Christ nous pousse non seulement à des gestes d’amour mais à une vie de charité en lui.

Malheureusement, la signification du mot « amour», parlée ou écrite ordinairement, qui donne la vie, est réduite à un sentiment d’une douce bonté ou à la passion souvent sensuelle. Dans l’Évangile, le mot amour est marqué par la croix, qui indique une bonté passionnée, qui n’est pas la possession de l’autre mais le don de soi à l’autre. Quand Christ dit « je vous aime », la croix est incluse. Il entend par cela la croix, c’est-à-dire le don passionné de soi. De cette façon, il nous montre que l’amour pur, sincère est l’amour que l’on donne librement.

Christ révèle son amour passionnément : avec sa Passion  et la Mort sur la croix. L’amour, que Christ révèle et propose comme commandement est dit avec des mots délicats et avec le geste de « l’aller sur la croix », après nous en avoir donné la preuve avec le lavement des pieds, avec l’institution de l’eucharistie, qui fortifie et rend stable l’amour, et avec de nombreux enseignements fraternels.

De nombreuses fois, nous avons lu et écouté les phrases de Jésus que l’Évangile romain d’aujourd’hui nous propose : « je vous donne un nouveau commandement : aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimé » (Jn 13,33).

Pour aider notre méditation, je propose – comme prémisse – l’explication synthétique des termes : 

Avant tout, il faut rappeler que pour l’évangéliste et apôtre Jean, le terme « commandement » signifie la parole qui révèle l’amour de Dieu Le Père.  En effet, dans le texte grec, il utilise le terme « entolè » qui signifie précepte, conseil, instruction, prescription. C’est un peu comme la prescription d’un médecin qui donne une cure pour notre bien. Le patient décide ensuite de suivre ou pas ce qui a été prescrit. Dans ce cas, le commandement n’est pas un ordre péremptoire, quelque chose d’obligatoire comme nous l’entendons dans sa signification courante. La preuve que Jean voulait donner cette signification au terme commandement se trouve dans son Évangile où, lui, l’apôtre, pour définir le commandement de Moïse, n’utilise plus  » entolè » mais « nomos ». Pour servir et suivre le Christ, nous n’avons donc pas tant besoin de  » nomos ». Notre rapport avec Dieu, c’est beaucoup plus que suivre des règles, si excellentes soient-elles. Dieu nous donne des commandements (entolè) qui nous guident, nous forment, nous conduisent sur son Sentier : brièvement, qui nous manifestent sa volonté de salut.

En effet, le terme grec utilisé par Jean est en relation non seulement avec la limite de la légalité mais aussi avec celle de la responsabilité. Jésus, donc, ne communique pas une règle mais révèle une mission de salut et appelle à la responsabilité.  La traduction latine est correcte : « mandatum novum » qui vient de verbe latin mittere=envoyer. Jésus envoie donc ses disciples d’avant et d’aujourd’hui à exécuter ce mandat, « à créer » cette charité réciproque et il ajoute « le monde verra que vous êtes mes disciples ». Le monde comprendra que l’Évangile est vivant et « en vigueur » (on dit que même la loi est en vigueur) si nous sommes amis, frères et sœurs entre nous. Le miracle des premiers siècles de l’ère chrétienne se renouvellera, comme l’atteste Tertullien (n.155 – m230) qui parle de la façon dont les gens païens étaient surpris et disaient :  » regarde comme ils s’aiment, regarde l’amour qu’il y a entre eux » (Apol.19).

Cet amour « commandé » par le Christ a deux caractéristiques : « neuf » et « comment ».

Le commandement de l’amour réciproque, fraternel est défini  » neuf » par Jésus. Il ne s’agit pas d’une nouvelle purement chronologique, mais d’une nouvelle qualitative. Le commandement de l’amour est neuf comme Jésus est neuf, le nouveau Moïse qui écrit la loi de l’amour sur notre cœur et non sur des planches de pierre. L’amour réciproque, fraternel et gratuit est la nouveauté de la vie de Dieu qui fait irruption dans notre vieux monde, en le régénérant. C’est le début de la vie éternelle, définitive et stable à laquelle nous aspirons.

Le don d’un commandement qui invite à aimer sans mesures

L’adverbe grec « kathòs » utilisé dans l’Évangile d’aujourd’hui est traduit avec le terme comme : « Comme je vous ai aimé, vous aussi, aimez-vous les uns les autres. »

Comment comprendre ce « comme »? Peut-être que les disciples devront imiter le comportement du Maître? Ceci serait réductif, on finirait par faire de Jésus un personnage du passé duquel on hérite des consignes à appliquer de manière à ce que l’action des disciples perpétue dans le temps celle de Jésus. Une interprétation plus profonde est possible. 

Kathos qui, comme dans d’autres textes, n’a pas le sens d’une similitude, mais celui d’une origine. On peut traduire : « Avec l’amour avec lequel je vous ai aimé, aimez-vous les uns les autres » c’est une version plus proche à la signification du texte.

L’amour du Fils pour ses disciples génère en eux un mouvement de charité : c’est son amour, l’amour de Jésus, qui passe en eux lorsqu’ ils aiment leurs frères et réciproquement.

C’est l’amour avec lequel Jésus aime chaque homme qui rend possible la fraternité et engage dans ce sens chaque communauté chrétienne. Un amour toujours neuf, toujours gratuit et profond, comme l’alliance que Dieu révèle en aimant l’humanité et le monde (cf. Jn 3,6; Ez 34-37; Jer 31,31).

S’aimer les uns les autres avec le cœur du Christ, voici le commandement nouveau.

Mais, si la mesure de la charité de notre Rédempteur est  » aimer sans mesures (cf. St Bernard de Clairvaux (De diligendo Deo, 16), comment pouvons-nous être à la hauteur de l’amour du Christ. C’est un devoir inégal. Jésus a aimé éperdument, jusqu’ à perdre sa propre vie.

Comment peut-on faire de même ? Il a donné sa propre vie pour son prochain, pour nous tous. 

Au paradis, son premier compagnon était un condamné à mort : le bon voleur.

L’amour du Christ est un amour dans lequel avant le « moi », il y a « l’autre ». Comment est-ce possible de vivre et d’avoir cet amour. S’abandonner à cet amour. Si nous acceptons d’être sa propriété, comme déjà le prophète Jérémie l’avait pressenti : « Seigneur, toi tu m’as séduit et je me suis laissé séduire », nous serons pour toujours ses Enfants. L’Amour qu’il nous a choisi dès le moment où ses mains ont modelé notre corps, nous appelle à être comme des sarments qui adhèrent à la vigne et qui produisent des fruits de vraie vie pour les autres.

Les Vierges consacrées sont un exemple clair et éminent.  Avec leur réponse de l’offrande de soi-même à Dieu dans la chasteté, elles montrent que la loi du ciel est descendue sur la terre, parce que l’amour de Dieu rend possible le saint amour envers le prochain, dans le partage de la foi et de la réciproque et serviable charité.

La crédibilité, la fiabilité de la vie consacrée, au contraire, émergent lorsque les hommes et les femmes consacrés font ce qu’ils disent, quand ils transmettent ce qu’ils transmettent comme parole annoncée : ils évangélisent parce qu’ils sont évangélisés, ils transmettent la foi parce qu’ils sont croyants, ils diffusent la charité parce qu’ils vivent le nouveau commandement.

En ce sens, ces femmes consacrées doivent constamment se référer à Jésus-Christ, à sa vie comme à une exégèse (interprétation) du Dieu qui est la Charité.

En effet, seulement si la vie consacrée est un souvenir vivant de l’existence, de l’action et du style de Jésus, elle remplit sa tâche : les vierges consacrées sont présentes dans l’Église pour s’incarner, vivre et se souvenir de tous les gestes et comportements vécus par Jésus dans sa vie humaine et dans sa mission. En résumé, en assumant la « forme de la vie de Jésus », les consacrées sont un signe, elles sont un souvenir vivant de l’Évangile de l’Amour.

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