Photo : © diocèse d’Aix-en-Provence; Maurice Blondel
Le diocèse d’Aix-en-Provence (France), annonce l’ouverture, le 4 juin 2025, de la cause diocésaine en béatification de Maurice Blondel, « le philosophe d’Aix » (1861-1949). Il a publié ce communiqué et cette biographie.
Le 4 juin 2025 à 18h, en l’église Saint Jean-de-Malte à Aix-en-Provence, l’archevêque d’Aix et Arles, Mgr Christian Delarbre, a ouvert officiellement la cause en béatification de Maurice Blondel (1861-1949), célèbre professeur en philosophie à l’Université d’Aix.
Après une enquête et la consultation de cardinaux, d’évêques, de théologiens et des différentes congrégations romaines, la cause est solennellement ouverte en le proclamant « serviteur ». Il s’agit d’une procédure entamée il y a une douzaine d’années, qui nécessitera encore de nombreuses étapes avant une éventuelle béatification, voire une canonisation, susceptible de faire proclamer Maurice Blondel saint par l’Église catholique.
Idée pour le moins inhabituelle que la philosophe Marie-Jeanne Coutagne, postulatrice aixoise de la cause explique ainsi : « Ce chrétien engagé, ce père de famille, cet intellectuel de haut vol profondément démocrate, me paraissait une figure de sainteté possible à proposer aujourd’hui. Beaucoup de saints contemporains sont encore des ecclésiastiques et parfois théologiens, mais fort peu sont philosophes et encore moins métaphysiciens. Ce sont les spécialistes de Blondel qui m’ont poussée à entrer dans l’aventure de la cause en béatification, ouverte obligatoirement dans le diocèse où l’éventuel saint est décédé. Par ailleurs, la philosophie de Blondel est une pensée en dialogue constant avec la foi mais dans une veine originale, proche des philosophies de la conscience. »
Quand il meurt le 4 juin 1949, Maurice Blondel est considéré surtout comme un maître, entouré d’étudiants qui ont constitué ce que l’on nommera avec Gaston Berger, Jacques Paliard… « l’École d’Aix ». Mais sa vertu chrétienne est aussi évoquée par un certain nombre de témoins, dont son ancien élève Mgr Marius Chalve (1905-1979), supérieur du séminaire de Miramas et « Juste parmi les Nations ».
Le philosophe de L’Action – son œuvre maîtresse qui suggère l’articulation entre métaphysique et christianisme – participe avec Henri Bergson du renouveau de la métaphysique du début du XXe s. Le dessein philosophique de Blondel peut se résumer ainsi : mettre en lumière la synergie de l’humain et du divin, de la raison et de la foi dans le concret de l’existence quotidienne.
Biographie officielle
Maurice Blondel vit le jour le 2 novembre 1861 à Dijon. À 20 ans (en 1881), il intègre l’École Normale Supérieure pour y étudier la philosophie. Il publie une thèse, « L’Action » en 1893, originale qui suggère l’articulation entre métaphysique et christianisme : malgré la reconnaissance de ses pairs, cela freine tout au long de sa carrière son avancement
professionnel. Il participe avec H. Bergson du renouveau de la métaphysique qui illumine le début du 20e siècle.
Maître de Conférences à Lille puis à Aix-en-Provence (1897), il s’entourera d’étudiants qui constitueront bientôt ce que l’on nommera « l’École d’Aix » (Gaston Berger, Jacques Paliard, mais aussi Joseph Segond, Aimé Forest, etc.). Lui-même est souvent dénommé « le philosophe d’Aix ».
Après l’édition de nombreuses œuvres, sa carrière prendra fin en 1927 suite à une affection oculaire qui lui causa des troubles de la vue irréversibles. Il vécut l’épreuve de la cécité dans l’affermissement de sa foi et de son union au Christ.
Mais paradoxalement, son influence y compris au plan social et politique ne fera que se développer. Il soutiendra courageusement malgré son grand âge ses anciens étudiants qui entreront dans la Résistance. Il meurt le 4 juin 1949, veille de Pentecôte. L’école de théologie de Fourvière, qui rassembla de nombreux jésuites à Lyon après la Seconde
Guerre mondiale et dans laquelle s’illustra par exemple Hans Urs von Balthasar, fut très influencée par les propositions blondéliennes. À travers les écrits et les œuvres des Pères de Lubac ou Gaston Fessard les idées de Blondel auront un grand impact sur les travaux du concile Vatican II.
Maurice Blondel avait épousé Rose Royer qui lui donnera 3 enfants.
Le dessein philosophique de Blondel peut se résumer ainsi : mettre en lumière la synergie de l’humain et du divin, de la raison et de la foi dans le concret de l’existence quotidienne. L’Action restera le cœur de ses recherches et de ses méditations durant toute sa vie, faisant surgir progressivement un édifice d’ouvrages qui s’achèvera à peine la veille de sa mort en 1949.
Parmi les œuvres les plus célèbres, on peut citer, après L’Action de 1893, et une thèse latine sur Leibniz ; Histoire et Dogme : les Lacunes philosophiques de l’exégèse moderne en 1904 ; La Pensée en deux tomes en 1934 ; L’Être et les êtres en 1935 ; L’Action en deux tomes en 1936/1937 ; La Philosophie et l’Esprit Chrétien en 1944/1946. Le dernier ouvrage : Les Exigences Philosophiques du Christianisme ne paraîtra qu’après sa mort, en 1950. Il faut y ajouter, dans les années 1925/1930, des écrits intermédiaires notamment sur la mystique, l’intelligence, la patrie et l’humanité, puis Lutte pour la Civilisation et la Paix en 1939. De plus, la pensée du philosophe chrétien s’est exprimée dans une impressionnante correspondance dont 9 volumes ont pu être publiés.
Un procès en canonisation : la longue marche
Quand il meurt le 4 juin 1949, Maurice Blondel est considéré surtout comme un Maître. Mais sa vertu chrétienne est aussi évoquée par un certain nombre de témoins. Parmi eux, sa dernière secrétaire, Nathalie Panis (décédée en 1985), un de ses anciens élèves Mgr Marius Chalve (1881-1970), et surtout, Mgr Charles de Provenchères, archevêque d’Aix de 1945 à 1978. Le futur cardinal de Lubac évoque dans les années 1960 l’hypothèse d’un procès éventuel auprès de la famille de Blondel. Mgr Peter Henrici s’en fera l’inlassable défenseur.
Au témoignage du cardinal Roger Etchegaray, alors jeune expert au concile Vatican II, la publication d’« Attente du concile » (extraits des Carnets Intimes) pour la 3e session (1964), a eu un impact considérable.
L’étude de Blondel reste très vivante dans bien des facultés catholiques à travers le monde, à Louvain et à Rome en particulier. Moins à Aix où l’influence de Heidegger et du marxisme restent dominantes. En 1971, l’Université de Louvain offre la possibilité d’accueillir et de rendre accessible les archives Blondel. Le Saint-Siège – par la voix de Mgr Giovanni Battista Montini (futur saint Paul VI) relayé après 1974 par Mgr Paul Poupard, alors recteur de l’Institut Catholique de Paris – promeut régulièrement la mémoire du témoignage de Blondel.
En octobre 1983 est réouvert le Séminaire Saint Luc d’Aix-en-Provence. Dans la filiation spirituelle avec Mgr Chalve et la communauté sacerdotale de Miramas, où la présence spirituelle de Blondel est forte, le Séminaire se donne parmi ses objectifs de valoriser le témoignage et le rayonnement de Maurice Blondel. Le quarantième anniversaire de sa mort (1989) et le centenaire de l’Action (1993) y contribueront.
Le colloque de 1989 est le premier moment où a été évoquée l’éventuelle ouverture d’une cause de béatification. Cette perspective retient l’attention de Mgr Bernard Panafieu, alors archevêque d’Aix (1978-94). La lettre pontificale du pape Jean-Paul II en février 1993 est un soutien dans cette réflexion. Le pape Jean-Paul II accueillera à Rome en 2000 les participants d’un des nombreux colloques Blondel, alors tenu à l’Université Grégorienne.
Le cardinal Poupard, devenu Président du Conseil Pontifical pour la Culture, dans le cadre des « conférences de carême » à Notre-Dame de Paris en 2003 évoquera explicitement la sainteté de Blondel.
En juin 2013 est lancée une première consultation de cardinaux et d’évêques sur le sujet. En mars 2014 succède une seconde consultation de théologiens et d’universitaires. Ce travail a bénéficié de deux contributions éclairantes de Mgr Peter Henrici, SJ. Au cours de l’année 2015, Mgr Dufour approuve une ‘prière pour les fidèles’ et, après une
importante rencontre lors du colloque Blondel de juin, demande le 15 décembre « que soient accomplies les démarches conduisant à l’ouverture de la cause ». Compte tenu de l’histoire, un avis préalable est demandé à la Congrégation pour la Doctrine de la foi, qui répond par un ‘nihil obstat’ en février 2016.
Intervient alors un temps de discernement. Celui-ci est suivi en 2019 – année des 70 ans de la mort de Blondel et d’un nouveau colloque, avec un message du Cardinal Secrétaire d’État – de la pose d’une plaque dans la paroisse aixoise de Blondel et d’une demande de vote de la Conférence des évêques de France : celle-ci s’exprime à la quasi-unanimité favorable à l’ouverture de la cause. Une équipe de postulation est alors nommée.
Après consultation des différentes congrégations romaines, un second et officiel ‘nihil obstat’ est publié le 9 décembre 2024 par le Dicastère pour les causes des saints à l’intention de Mgr Delarbre : ainsi peut enfin avoir lieu l’ouverture solennelle de la cause qui se déroulera le 4 juin 2025 en l’église Saint Jean-de-Malte à Aix-en-Provence, à 18h.
Chronologie
1861, 2 novembre : Maurice Blondel naît à Dijon et y commence ses études.
1881-1885 : École Normale Supérieure (Paris)
1886 : Obtient l’Agrégation ; nommé professeur de philosophie au Lycée Mignet d’Aix-en-Provence
1893, 7 juin : L’Action. Essai d’une critique de la vie et d’une science de la pratique (Thèse de Doctorat)
1894 : Mariage avec Rose Royer, duquel naîtront trois enfants : Charles, Elisabeth et André
1897-1927 : Professeur à la Faculté des Lettres d’Aix-Marseille
1914, 4 juillet : Correspondant de l’Institut
1927 : Chevalier de la Légion d’Honneur.
1928 : Membre d’honneur de l’Académie des Sciences, Arts et Belles-Lettres d’Aix-en-Provence
1934-1937 : publication de la « trilogie » : La pensée, l’Être et les êtres, l’Action (2e version)
1939 : Lutte pour la civilisation et philosophie de la paix
1944-1946 : La philosophie et l’esprit chrétien. Pendant la Seconde Guerre mondiale, Blondel soutient ses amis
et étudiants résistants et accueille à Aix son ami juif Léon Brunschvicg, exclu de l’Université.
1949, 4 juin : mort à Aix
1950 : Les Exigences philosophiques du christianisme