Photo : © diocèse d’Aix-en-Provence; Maurice Blondel
L’un des points difficiles de la pensée du philosophe Maurice Blondel (1861-1949), dont la cause en béatification vient d’être ouverte au niveau diocésain, à Aix-en-Provence (France) est ce qu’il a lui-même nommé son « panchristisme ». En ce sens la thèse principale L’Action est inséparable de la thèse secondaire, en latin, sur le « Vinculum subtantiale » que BLONDEL rééditera en français en 1930.
L’Incarnation rédemptrice
Le Père VALENSIN avec lequel BLONDEL échangeait très régulièrement, disait que le panthéisme est vrai, une seule fois, dans le cas du Christ. C’est ce que BLONDEL entendait approfondir à partir du dialogue entre LEIBNIZ (protestant) et le Père des BOSSES, sj, qui eut lieu entre 1706 et 1715.
Cette conversation, œcuménique en somme, traite de la question eucharistique et de la Présence réelle, mais abordée d’un point de vue métaphysique, modèle de l’union possible des substances. Ce qui pour LEIBNIZ est une hypothèse, est pour BLONDEL une réalité. La transsubstantiation, en substituant à l’être naturel du pain et du vin, le lien du Christ lui-même, prélude sous les voiles du mystère à l’assimilation, à l’incorporation suprême de tout de tout ce qui est au Verbe Incarné. C’est pourquoi le panchristisme permet d’échapper au panthéisme, par la fonction médiatrice de l’Incarnation rédemptrice. C’est par là que, comme BLONDEL le dit, la matière est spiritualisable et l’esprit est divinisable. Le Christ est le médiateur universel, le « réalisateur » et le « solidificateur » de tout le créé : « in quo omnia constant » … (Paul, Colossiens, 1, 17).
À cette médiation, de caractère sacerdotal, l’homme est associé : c’est pourquoi l’action de l’homme est proprement le « vinculum » en exercice, portée par un dynamisme qui la dépasse et qu’elle ne peut jamais rejoindre par ses propres forces ; disproportion inexplicable et déconcertante. L’action est médiatrice entre la pensée et la vie, entre les phénomènes et l’être : agir, c’est, en une certaine mesure, se confier à l’univers, à condition de comprendre que l’infini est inaccessible. L’homme ne peut, en effet, égaler son propre vouloir. L’action se situe au point de jonction entre immanence et transcendance. Au seuil du surnaturel il faut choisir pour ou contre ce surnaturel qui excède la philosophie et conduit alors à la pratique effective. Le discernement que BLONDEL pratiqua toute sa vie est fondateur.
L’adoration eucharistique prend un sens métaphysique tout en gardant sa signification spirituelle. Dans sa jeunesse, BLONDEL avait obtenu de ses confesseurs, la permission de la fréquente communion, ce qu’il notait scrupuleusement dans ses Carnets Intimes. Il participait aux adorations nocturnes et souffrait des circonstances qui l’éloignaient de cette communion fréquente. Cette centralité de l’eucharistie est le nœud de sa réflexion philosophique : toute la Création est comme suspendue au mystère eucharistique. C’est le cœur de la vie de prière de BLONDEL.
BLONDEL avait aussi une grande dévotion au Sacré Cœur aux bras étendus.
Le don de soi
La vie de Maurice BLONDEL est celle d’un laïc, père de famille et grand-père, attentif aux siens mais dont la vie quotidienne pourtant toute traversée de philosophie, est aussi, nous l’avons vu, jalonnée de difficultés : son épouse très fragile, nerveusement instable, semble avoir été affolée par ses audaces de pensée, et il dut sans cesse s’occuper d’elle, la rassurer, l’accompagner jusqu’à sa dernière maladie (elle décède en 1919, il lui survivra 30 ans).
Ses Carnets Intimes et plusieurs textes très personnels, particulièrement ceux où il évoque ses épreuves et ses propres problèmes de santé (cécité progressive, surdité, névrites réitérantes), expriment une confiance lumineuse dans le Christ.
Sa dévotion mariale sans doute plus discrète, va d’abord, par exemple, à Notre Dame de la Seds à Aix-en-Provence : ce qui lui permet d’associer évidemment en ce lieu Marie et l’Eglise pour laquelle il montre une fidélité sans faille ! Il vit son cheminement intellectuel comme un véritable apostolat.
Tous ses amis, étudiants ou visiteurs, soulignent sa vie de prière : il milite pour une philosophie qu’il nomme « orante », et cette philosophie, il la met chaque jour en pratique. Pour lui, sans aucune concession à un dolorisme que l’Église a malheureusement parfois trop entretenu, la seule véritable épreuve métaphysique est la souffrance qui nous met en quelque sorte au pied du mur, nous faisant butter sur un obstacle qui révèle la force de notre libre vouloir, la possibilité de renâcler et de se révolter, mais aussi la volonté non de « pouvoir » (comme chez Nietzsche) mais de « ne pas pouvoir », d’accueillir le don, et de s’ouvrir en confiance à la Grâce : ce don de soi , réponse au Don premier de Dieu, constitue une énergie et une lumière qui éclairent radicalement la vie comme le travail du philosophe lui-même.